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Introduction

Dans l’édition du Stratège de l’été 2021 (vol. 26, no 2), il était question du Projet de loi n° 78, Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises (« PL78 ») modifiant la Loi sur la publicité légale des entreprises (« LPLE »). Depuis, le PL78 a été modifié, a obtenu sa sanction et est entré en vigueur le 31 mars 2023. Il aurait été difficile que cela passe inaperçu, puisque tous les clients immatriculés au Québec ont reçu un avis indiquant qu’il ne serait pas possible de jumeler les déclarations annuelles au Registre des entreprises du Québec (« REQ ») avec la déclaration de revenus transmise à Revenu Québec, et ce, depuis le 31 mars 2023, puisque de nouvelles règles sont entrées en vigueur à ce moment. Quelles sont ces règles? Permettez-moi de vous rafraîchir la mémoire.

Le PL78 s’inscrit dans le cadre d’une initiative mondiale, à laquelle ont adhéré le Canada et ses provinces et territoires, visant à créer un registre public de la propriété effective afin de lutter contre l’utilisation abusive de sociétés-écrans constituées pour des activités illégales telles que le financement du terrorisme, le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale.

Sommairement, les grands changements apportés à la LPLE sont les suivants :

  • création de la notion de « bénéficiaire ultime »;
  • déclaration d’une adresse professionnelle;
  • transmission de pièce d’identité pour les administrateurs;
  • déclaration de la date de naissance.

Afin de compléter la mise en œuvre du PL78, le gouvernement québécois a publié deux décrets et un arrêté ministériel dans la Gazette officielle :

  • le 15 mars 2023, le Décret no 215-2023 fixant au 31 mars 2023 la date d’entrée en vigueur de la majorité des dispositions du PL78;
  • le 15 mars 2023, le Décret no 216-2023 ayant pour titre « Règlement sur la publicité légale des entreprises et Règlement modifiant le Règlement sur les noms des personnes morales ou des associations régies par la partie III de la Loi sur les compagnies, le Règlement sur les noms des compagnies régies par la partie I de la Loi sur les compagnies et le Règlement sur les noms des compagnies régies par la partie IA de la Loi sur les compagnies » qui permet de compléter certaines dispositions de la LPLE; et
  • le 29 mars 2023, l’Arrêté numéro AM 2023-001 ayant pour titre « Règlement modifiant le Règlement d’application de la Loi sur la publicité légale des entreprises » exemptant les syndicats de copropriété du régime de bénéficiaires effectifs et qui entre en vigueur le 15e jour suivant sa publication.

Également, le gouvernement est venu ajuster certaines dispositions de la LPLE, dont les pénalités et l’ajout de la notion de « contrôle » d’actions de parts ou d’unités d’un assujetti, par le biais du Projet de loi 7, Loi concernant la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 22 mars 2022 et modifiant d’autres dispositions législatives présenté à l’Assemblée nationale le 1er février 2023, ayant obtenu son adoption de principe le 15 février 2023, mais qui, au moment de mettre sous presse, n’avait pas obtenu sa sanction.

Qui est visé par les nouvelles règles?

Les modifications apportées à la LPLE s’appliquent à toute personne « assujettie » à cette loi, c’est-à-dire à toute entité constituée au Québec ou qui y a son domicile, y exerce une activité ou y possède un droit réel immobilier autre qu’une priorité ou une hypothèque. Les règles ne visent donc pas seulement les sociétés par actions régies par la Loi sur les sociétés par actions du Québec, mais également celles régies par la Loi canadienne sur les sociétés par actions ou toute autre loi étrangère, les sociétés de personnes, etc. Ainsi, chacune des entités suivantes sera tenue d’indiquer au REQ les renseignements relatifs à leurs bénéficiaires ultimes :

  • sociétés par actions;
  • sociétés de personnes (en commandite, en nom collectif, etc.);
  • coopératives;
  • fiducies exploitant une entreprise à caractère commercial;
  • émetteurs assujettis étrangers;
  • personnes physiques exploitant une entreprise individuelle.

Création de la notion de « bénéficiaire ultime »

Définition de « bénéficiaire ultime »

Pour ceux qui ont étudié la notion de « particulier ayant un contrôle important » introduite en juin 2019 dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions, la nouvelle notion de « bénéficiaire ultime » incluse à la LPLE sera familière. Cependant, il faudra se garder de faire du copier-coller de ses conclusions, puisque la définition québécoise diverge en plusieurs points de celle de la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

De fait, est le « bénéficiaire ultime » d’un assujetti toute personne physique qui satisfait à l’une ou l’autre des conditions ci-dessous :

  1. Elle est détentrice ou a le contrôle, même indirectement, ou est bénéficiaire d’un nombre d’actions, de parts ou d’unités de l’assujetti qui lui confère la faculté d’exercer 25 % ou plus des droits de vote;
  2. Elle est détentrice ou a le contrôle, même indirectement, ou est bénéficiaire d’un nombre d’actions, de parts ou d’unités d’une valeur correspondant à 25 % ou plus de la juste valeur marchande (« JVM »);
  3. Elle a une influence directe ou indirecte telle que, si elle était exercée, il en résulterait un contrôle de fait de l’assujetti;
  4. Elle en est le commandité; ou
  5. Elle en est le fiduciaire.

De plus, lorsque des personnes physiques détenant, même indirectement, des actions, des parts ou des unités de l’assujetti ont convenu d’exercer conjointement les droits de vote afférents à celles-ci et que cette entente a pour effet de leur conférer ensemble la faculté d’exercer 25 % ou plus de ces droits, chacune d’elles est considérée être un bénéficiaire ultime de l’assujetti. Il en est de même pour une personne physique qui contrôle, directement ou indirectement, un nombre d’actions, de parts ou d’unités d’un assujetti à l’égard desquelles une entité a conclu une telle entente.

Le ministre peut, par règlement, déterminer d’autres cas et conditions selon lesquels une personne physique est considérée être un bénéficiaire ultime.

Quelques présomptions

Afin de faciliter le travail de recherche du bénéficiaire ultime d’un assujetti, la LPLE prévoit quelques présomptions. 

Par exemple, pour la personne physique exploitant une entreprise individuelle et qui est immatriculée au REQ, on peut présumer qu’elle est son seul bénéficiaire ultime, à moins qu’elle ne déclare le contraire. Par ailleurs, la LPLE prévoit qu’une personne morale agissant à titre de fiduciaire est assimilée à une personne physique. 

Finalement, si l’une de ces entités suivantes détient un nombre d’actions visé à la LPLE, elles seront assimilées à une personne physique et on inscrira le nom de cette entité comme bénéficiaire ultime de l’assujetti :

  • les personnes morales de droit privé à but non lucratif;
  • les personnes morales de droit public;
  • les émetteurs assujettis au sens de la Loi sur les valeurs mobilières (c. V-1.1) (cela ne comprend pas les sociétés publiques étrangères);
  • les institutions financières visées aux paragraphes 1° à 3° de l’article 4 de la Loi sur les assureurs (c. A-32.1);
  • les sociétés de fiducie régies par une loi provinciale, fédérale ou d’une autre province ou d’un territoire du Canada;
  • les banques et les banques étrangères autorisées figurant aux annexes I, II et III de la Loi sur les banques (L.C., 1991, ch. 46);
  • les associations au sens du Code civil du Québec;
  • les syndicats de copropriétés.

Assujettis dispensés

Par ailleurs, les entités énumérées ci-dessus sont exemptées de l’obligation de déclarer leurs bénéficiaires ultimes au REQ et le ministre peut, par règlement, dispenser d’autres catégories d’assujettis de déclarer certaines informations au REQ, incluant les bénéficiaires ultimes.

Contrôle de fait de l’assujetti

Pour établir si une personne physique a une influence directe ou indirecte telle que, si elle était exercée, il en résulterait un contrôle de fait de l’assujetti, il faut appliquer les articles 21.25 et 21.25.1 de la Loi sur les impôts (« L.I. »). 

Essentiellement, l’article 21.25 L.I. vise le contrôle de fait de la société elle-même, c’est-à-dire le droit ou la capacité ayant force exécutoire de procéder à une modification du conseil d’administration ou de ses pouvoirs, ou d’influencer les actionnaires qui ont ce droit et cette capacité (McGillivray Restaurant c. Canada, 2016 CAF 99). L’article 21.25.1 L.I., quant à lui, vient étendre le contrôle de fait au contrôle de l’entreprise exploitée par la société en précisant notamment qu’il ne doit pas être tenu compte uniquement de la question, qui n’a pas à être l’un des facteurs pertinents à la détermination, de savoir si le contribuable a un droit ayant force exécutoire, ou la capacité, de faire modifier le conseil d’administration de la société ou les pouvoirs de celui-ci ou d’exercer une influence sur l’actionnaire ou les actionnaires qui ont ce droit ou cette capacité. 

Le REQ indique d’une telle influence sur les décisions de l’entreprise peut être, par exemple, « une influence d’un membre de la famille, d’un employé de longue date, d’un client ou d’un créancier sur la gestion d’une entreprise. Il peut également s’agir d’une influence exercée par une personne ayant signé un contrat de prête-nom ».

Sens du mot « bénéficiaire »

Selon le contexte, le mot « bénéficiaire » employé à la LPLE peut viser le bénéficiaire d’une fiducie, mais peut également avoir un sens beaucoup plus large. En effet, ce mot n’est pas défini à la LPLE. Pour établir si une personne est « bénéficiaire » d’un nombre d’actions, il faudra donner à ce mot le sens donné dans la loi constitutive de l’entité visée ou, à défaut, le sens usuel. Par exemple, le propriétaire véritable d’actions inscrites au nom d’un prête-nom serait vraisemblablement le « bénéficiaire » de ces actions au sens de la LPLE. 

Toutefois, le mot n’a pas un sens assez large pour inclure les personnes faisant partie de la liste de bénéficiaires potentiels prévus dans une fiducie familiale discrétionnaire, c’est-à-dire les personnes qui ne peuvent bénéficier du revenu ou du capital d’une fiducie que si les fiduciaires exercent leur discrétion pour le leur attribuer. De tels bénéficiaires potentiels ne deviennent bénéficiaires réels qu’une fois que les fiduciaires auront exercé leur faculté d’élire en leur faveur. Ainsi, tant qu’aucune distribution de revenu ou de capital n’aura été faite à un tel « postulant », il ne peut être considéré comme un bénéficiaire au sens du Code civil du Québec. Le REQ indique que, « dès lors qu’un bénéficiaire potentiel est élu par le fiduciaire et reçoit une partie des revenus ou du capital de la fiducie, il est considéré comme un réel bénéficiaire et doit être déclaré comme bénéficiaire ultime ».

Informations relatives aux bénéficiaires ultimes à déclarer au REQ

Pour chacun des bénéficiaires ultimes que l’assujetti aura identifiés, il devra déclarer au REQ l’information suivante :

  • nom (et autre nom sous lequel la personne s’identifie, le cas échéant);
  • domicile (les noms et domiciles de personnes mineures ne seront pas publics – art. 99.1 L.P.L.E.);
  • adresse professionnelle, le cas échéant (auquel cas l’adresse de domicile ne sera pas publique – art. 99.1 L.P.L.E.);
  • date de naissance (ne sera pas publique – art. 99.1 L.P.L.E.);
  • date de début;
  • date de fin;
  • la condition en vertu de laquelle il est devenu bénéficiaire ultime, le pourcentage des droits de vote qu’il peut exercer en fonction du nombre d’actions, de parts ou d’unités de l’assujetti qu’il détient ou contrôle ou dont il est bénéficiaire ou le pourcentage de la JVM correspondant à la valeur du nombre d’actions, de parts ou d’unités de l’assujetti qu’il détient ou contrôle ou dont il est bénéficiaire.

Concernant le pourcentage d’actions, de parts ou d’unités à déclarer au REQ, l’assujetti doit déclarer le pourcentage des droits de vote qu’un bénéficiaire ultime peut exercer en fonction du nombre d’actions, de parts ou d’unités de l’assujetti qu’il détient ou contrôle ou dont il est bénéficiaire, selon les tranches suivantes :

  • 25 % à 50 %;
  • plus de 50 % à 75 %;
  • plus de 75 %.

Il en sera de même pour le pourcentage de JVM.

Déclaration d’une adresse professionnelle pour les personnes physiques

Jusqu’à présent, toute personne physique dont le nom paraît au REQ, que ce soit à titre d’actionnaire, d’administrateur, de dirigeant ou pour tout autre motif, doit déclarer son adresse de domicile. Depuis le 31 mars 2023, toute personne physique peut choisir de déclarer, en plus de son adresse de domicile, une adresse professionnelle. 

En cas d’ajout d’une adresse professionnelle pour une personne physique, l’adresse de domicile de cette dernière ne paraîtra pas au REQ. De plus, si quelqu’un demande la copie d’un document déposé dans le passé au REQ qui comprend une adresse de domicile, le REQ s’assurera de caviarder cette adresse de domicile afin d’en assurer la confidentialité. Pendant un certain temps, il faudra compter sur des délais de traitement plus long lors de demande de copie de document ou de certificat d’attestation.

Il ne peut y avoir qu’une seule adresse professionnelle par personne physique, peu importe son lien avec un ou plusieurs assujettis. Si une personne physique désigne plus d’une adresse professionnelle ou est en défaut de désigner adéquatement une adresse professionnelle, l’information relative au domicile redevient publique.

Transmission de pièce d’identité pour les administrateurs

Depuis le 31 mars 2023, l’assujetti doit fournir, à l’égard de chacun de ses administrateurs, une copie d’une pièce d’identité émise par une autorité gouvernementale à l’appui de toute déclaration ou mise à jour des informations relatives à ceux-ci. Il ne sera pas nécessaire de transmettre une pièce d’identité pour personnes physiques déclarées au REQ qui ne sont pas des administrateurs (c’est-à-dire actionnaires, bénéficiaires ultimes, associés, etc.).

La pièce d’identité sera transmise lors de la première déclaration relative à un administrateur et ne sera plus requise pour les modifications de renseignements relatifs à cet administrateur par la suite.

La pièce d’identité devra être valide (c’est-à-dire non expirée) et indiquer le nom, le prénom et la date de naissance de l’administrateur.

Déclaration de la date de naissance pour les personnes physiques

Finalement, toute personne physique apparaissant au REQ devra déclarer sa date de naissance. Sont notamment visés par cette exigence la personne physique immatriculée, les associés, actionnaires, administrateurs, dirigeants et bénéficiaires ultimes. Cela dit, les dates de naissance ne seront pas publiées au REQ.

Règles transitoires

Tout assujetti sera tenu d’appliquer l’ensemble des nouvelles règles décrites ci-dessus (déclaration du bénéficiaire ultime, transmission de pièces d’identité pour les administrateurs, déclaration de la date de naissance et, le cas échéant, déclaration d’une adresse professionnelle) lors du dépôt de sa première déclaration annuelle produite à compter du 31 mars 2023. 

Pour ceux qui étaient dans leur période de production et qui ont eu la clairvoyance de déposer leur déclaration annuelle en vertu de la LPLE avant le 31 mars 2023, cela a permis de reporter d’un an leur obligation de se conformer aux nouvelles règles.

Par ailleurs, peu importe que l’on ait transmis ou non la déclaration annuelle après le 31 mars 2023, il faudra se conformer à l’obligation de déclarer la date de naissance des personnes physiques déclarées au REQ et de transmettre une pièce d’identité à l’égard de tout administrateur nouvellement nommé ou dont on veut changer une information.

Conclusion

Avec ces changements législatifs, le gouvernement québécois se voit comme un précurseur et un modèle de transparence en Amérique du Nord. Il est vrai que ces nouvelles dispositions mettent le Québec dans une classe à part en Amérique. Cela dit, les autres juridictions canadiennes emboîteront probablement le pas. En ce sens, la Loi no 1 d’exécution du budget de 2022 qui a obtenu sa sanction royale le 23 juin 2022 prévoit une approche en deux étapes qui culminera avec la création d’un registre fédéral public des particuliers ayant un contrôle important. Le Projet de loi C-42 a d’ailleurs été déposé en première lecture le 22 mars 2023 et prévoit notamment que le directeur rendra accessible au public le même type d’informations que celles rendues publiques par la LPLE, à savoir : le nom du particulier ayant un contrôle important, son adresse de domicile ou, le cas échéant, une adresse aux fins de signification, la manière et la date à laquelle il est devenu un particulier ayant un contrôle important ainsi que la date où il a cessé de l’être.

Dans la plupart des cas, il sera aisé d’identifier les bénéficiaires ultimes d’un assujetti. Cependant, dans les structures plus complexes comprenant des sociétés en commandite ou des fiducies familiales, il faudra se creuser les méninges pour aider les clients à respecter leur obligation de « prendre les moyens nécessaires » pour retrouver leurs bénéficiaires ultimes et pour s’assurer de leur identité. 

Afin de soutenir les assujettis dans leurs démarches pour se conformer à la LPLE, le REQ a mis à la disposition du public un guide intitulé « Comment identifier un bénéficiaire ultime? », créera des capsules portant sur l’entrée en vigueur des nouvelles obligations et propose aux « intermédiaires autorisés » une ligne téléphonique dédiée. Pour les intéressés, voici le numéro : 1 855 208-3361. Mais attention, chut, c’est un secret!