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L’utilisation légitime des actions 
à dividendes discrétionnaires

Publié dans :

Thierry L. Martel, « L'utilisation légitime des actions à dividendes discrétionnaires », dans Congrès 2016, Montréal, Association de planification fiscale et financière, Montréal, 2017.

Index

Publié par Thierry L. Martel

Introduction

Depuis que la Cour suprême du Canada a avalisé la légalité du principe des actions à dividendes discrétionnaires dans les années 1990, les fiscalistes sont de plus en plus nombreux à en recommander l’utilisation dans différents contextes. En effet, les actions à dividendes discrétionnaires constituent un outil précieux qui permet d’atteindre plusieurs objectifs. Elles assurent une plus grande souplesse dans la répartition des bénéfices d’une société par actions entre ses actionnaires. Cela dit, un certain nombre de fiscalistes sont encore réticents à recommander l’utilisation de ce type d’actions à leurs clients. 

L’objet du présent texte est de dissiper ces réticences et d’établir les bases requises pour permettre une utilisation juste et efficace du précieux outil que sont les actions à dividendes discrétionnaires. Pour ce faire, nous décrirons différents types d’actions à dividendes discrétionnaires et leurs caractéristiques principales afin de mieux comprendre les possibilités qu’elles offrent (section 1.). Ensuite, nous ferons une étude poussée des problèmes liés à l’évaluation des actions à dividendes discrétionnaires (section 2.). Puis, nous étudierons les limites fiscales posées par la Loi de l’impôt sur le revenu (section 3.). Enfin, nous ferons quelques recommandations pratiques pour permettre une utilisation sans risque, ou presque, des actions à dividendes discrétionnaires (section 4.).

1. Définition sommaire du concept de dividendes discrétionnaires

Nous considérons comme étant des actions à dividendes discrétionnaires des actions donnant le droit à leur détenteur de participer dans les biens, profits et surplus d’actif de la société et, à cette fin, de recevoir tout dividende déclaré et attribué comme suit par les administrateurs de la société. Le conseil d’administration peut, à sa discrétion, attribuer une partie ou la totalité de ce dividende aux détenteurs d’actions d’une catégorie à l’exclusion d’autres catégories d’actions émises et en circulation, ou le répartir entre les catégories d’actions à dividendes discrétionnaires dans la proportion qu’il déterminera, sans être tenu de respecter l’égalité entre ces catégories, et ce, sans être tenu au respect des présomptions d’égalité entre les actionnaires.

Dans la doctrine et la jurisprudence, différents synonymes sont utilisés pour désigner les actions à dividendes discrétionnaires : « actions à dividendes illimités », « actions à dividendes discrétionnaires », « discretionary dividend shares », « exclusionary dividend shares », « tracking shares », « sprinkler shares », « sprinkling shares ».

Nous cernons plusieurs types d’actions à dividendes discrétionnaires :

  • Actions ordinaires à dividendes discrétionnaires. Les actions avec droit de participation quant au reliquat des biens en cas de liquidation, dont une catégorie peut recevoir un dividende à l’exclusion des autres catégories. 
  • Actions privilégiées à dividendes discrétionnaires. Les actions sans droit de participation au reliquat des biens en cas de liquidation, souvent désignées « privilégiées », et dont une catégorie peut recevoir un dividende à l’exclusion des autres catégories.
  • Actions à dividendes au taux discrétionnaire. Les actions d’une catégorie ne pouvant recevoir un dividende à l’exclusion des autres catégories, mais dont le taux de dividendes est fixé, à la discrétion du conseil d’administration, entre un taux minimum et un taux maximum.
  • Actions à dividende illimité. Les actions donnant au conseil d’administration le pouvoir de déterminer quel montant du dividende disponible, en partie ou en totalité, sera attribué aux détenteurs d’actions de la catégorie, sans établir de paramètres quant au montant pouvant être attribué à ces détenteurs.

2. Établissement de la juste valeur marchande des actions à dividendes 
discrétionnaires

2.1. Mise en contexte

La plus grande problématique liée à l’utilisation des actions à dividendes discrétionnaires consiste à établir avec une certaine certitude leur juste valeur marchande (« JVM »). En effet, il sera nécessaire de déterminer la JVM de ces actions lors de leur transmission ou avant de procéder à leur émission, transfert ou rachat. La notion de JVM n’est pas définie dans la Loi de l’impôt sur le revenu; deux définitions sont généralement reconnues par les tribunaux. La première, à laquelle l’ARC s’en remet dans sa position administrative, est tirée notamment de l’affaire Henderson Estate and Bank of New York c. MRN et est énoncée à la Circulaire d’information IC89-3 :

« [l]a juste valeur marchande est le prix le plus élevé, exprimé en dollars, qui puisse être obtenu sur un marché ouvert qui n’est soumis à aucune restriction, lorsque les parties à la transaction sont bien informées, qu’elles agissent avec prudence, qu’elles n’ont aucun lien de dépendance entre elles et que ni l’une ni l’autre n’est forcée de quelque manière de conclure la transaction. »

Une autre définition de la JVM fréquemment citée est celle adoptée par le juge McIntyre dans l’arrêt Re Mann Estate :

[TRADUCTION] « “juste valeur marchande” s’entend du prix le plus élevé, estimé en argent, qu’un vendeur sérieux peut obtenir pour le bien, sur un marché libre non assujetti à des restrictions, d’un acheteur sérieux averti sans lien de dépendance. »

Ainsi, quoique le concept de JVM soit bien établi en droit canadien, il n’en reste pas moins que l’évaluation d’actions n’est pas une science exacte. Tel qu’il est énoncé par Jacob Ziegel : « valuation is an art, not an exact science ».

Comme l’indique Serge Fournier, lorsque vient le temps d’établir la JVM d’actions d’une société, « la première démarche à amorcer consiste à établir la JVM de la corporation elle-même, puisque dans un contexte théorique, une action représente une part dans l’entreprise ». En effet, les actions donnent droit à leur détenteur de participer dans les biens de la société dans différentes circonstances. Les actions privilégiées confèrent généralement à leur détenteur le droit de participer dans les biens de la société en cas de liquidation ou dissolution jusqu’à concurrence de leur valeur de rachat déterminée dans les statuts de la société. Les actions ordinaires, quant à elles, donnent droit à leur détenteur de se partager le reliquat des biens de la société en cas de liquidation ou dissolution de la société. On reliera généralement la valeur d’une action à la capacité de participer dans les surplus et dans l’actif de la société qui l’a émise.

L’ARC a d’ailleurs confirmé que, pour évaluer des actions, il fallait d’abord évaluer la valeur de la société dans son ensemble, puis répartir cette valeur entre les catégories d’actions selon leurs caractéristiques propres, comme nous le verrons.

Nous tenterons de traiter de l’évaluation d’actions le plus largement possible, en tenant compte de tous les arguments soulevés par les contribuables, l’administration fiscale et les évaluateurs experts et des motifs des tribunaux. En effet, l’objectif du présent texte n’est pas de confirmer une méthode précise d’évaluation étant donné qu’il n’existe actuellement aucun consensus qui permette d’établir une méthode infaillible. Au contraire, chaque situation doit être analysée en fonction de ses propres faits et de certains facteurs à prendre en compte.

Nous dresserons d’abord un portrait de ces facteurs, pour ensuite préciser la position des évaluateurs experts. Puis, nous traiterons de la position administrative de l’ARC et ferons la synthèse de décisions importantes des tribunaux sur l’évaluation d’actions à dividendes discrétionnaires.

2.2. Facteurs influant sur l’établissement de la valeur d’actions

De façon générale, bien des facteurs et bien des circonstances peuvent, dans différents contextes, influer sur la détermination de la JVM d’actions d’une société. Ces facteurs sont parfois déterminants, parfois tout simplement écartés par les tribunaux. Il est intéressant de noter que certains facteurs sont liés à l’évaluation de la société dans son ensemble. Ceux-ci sont moins pertinents, aux fins de notre analyse, que les facteurs qui permettent de déterminer le mode de répartition de la valeur de la société aux actions émises et en circulation de son capital-actions. La valeur d’une action repose essentiellement sur la valeur actualisée des flux monétaires auxquels un actionnaire à droit et peut être influencée par différents facteurs. Voici les plus souvent évoqués :

  • les droits et privilèges conférés aux diverses catégories d’actions, notamment :
    • le droit de participer au reliquat des biens sans limitation, 
    • le droit de rachat au gré du détenteur, 
    • la restriction quant au pouvoir du conseil d’administration de déclarer un dividende s’il résultait que, de ce fait, la valeur de réalisation de l’actif net de la société ne soit pas suffisante pour racheter certaines actions, 
    • le rachat automatique au décès ou en cas de faillite du détenteur;
  • le fait que la société soit ou non en exploitation : on renvoie alors à la valeur de continuité d’exploitation (as a going concern) ou à la valeur liquidative; l’évaluation dans un contexte de continuité d’exploitation attribue une valeur aux actions détenues par les actionnaires en fonction des bénéfices futurs de la société et de sa capacité de générer un flux de trésorerie;
  • la nature même de l’entreprise : entreprise exploitée activement ou société de gestion détenant des biens générant du revenu passif, ou encore société familiale détenue par les fondateurs ou dans laquelle un gel successoral est intervenu, ou société dont les actions sont détenues par des partenaires sans lien de dépendance entre eux;
  • l’existence de contraintes contractuelles, comme une convention entre actionnaires qui établit notamment une valeur aux actions; en effet, la jurisprudence a reconnu à maintes reprises l’effet que peut avoir une convention entre actionnaires lorsque vient de temps de procéder à l’évaluation d’actions, quoiqu’il existe des décisions contraires où les tribunaux ont évalué les actions sans tenir compte de contraintes contractuelles;
  • les indices postérieurs à la date d’évaluation (hindsights) qui, bien qu’ils ne puissent servir de base d’évaluation, peuvent servir à « confirmer la valeur raisonnable des spéculations et hypothèses formulées par l’expert à partir d’informations existantes »;
  • le fait que les actions évaluées constituent un bloc de contrôle ou une position minoritaire dans l’actionnariat de la société;
  • la jurisprudence concernant une situation semblable ou encore un énoncé de position administrative de l’ARC;
  • le fait que les actions visées aient une valeur de nuisance;
  • le fait que les actions visées par l’évaluation puissent être vendues en bloc avec d’autres actions;
  • la facilité de négociation (marketability) des actions, qui suppose l’existence d’un marché d’acheteurs; les évaluateurs peuvent en effet accorder une réduction de valeur aux actions difficilement négociables (lack of marketability); il est important de faire la distinction entre une décote de minoritaire (minority discount) et une décote pour absence de liquidité (marketability discount), distinction que l’auteur Wise fait en ces termes : 

« A minority discount reflects a decrease in value due to lack of control […], and such decrease (discount) is subtracted from the rateable (proportionate) share of the en bloc value of the total common equity, or partner’s equity, including control. As a marketability discount reflects the decrease in value due to the illiquid nature of the investment, the objective value-base with respect to which the decrease (discount) is referenced is a security having the same investment attributes except that it can more readily be liquidated. »

  • l’existence d’un « acheteur spécial » pour qui l’achat des actions procure un avantage stratégique ou autre.

La doctrine traite également du concept de valeur subjective (value to owner), qui n’est pas encore reconnue au Canada; il s’agit de la valeur pour un investisseur particulier, fondée sur les exigences et expectatives d’un investissement individuel ou sur la valeur de la perte directe et indirecte qu’un vendeur pourrait subir s’il se départit de son bien; la démarche d’évaluation est subjective et non objective comme celle habituellement utilisée pour déterminer la JVM. Nous n’utiliserons pas cette méthode d’évaluation, puisqu’elle a été rejetée au Canada par la Cour fédérale, division de première instance et par la Cour canadienne de l’impôt.

Lorsque vient le temps d’évaluer des actions dont les caractéristiques comptent le droit de recevoir un dividende discrétionnaire, certaines considérations particulières doivent être prises en compte. En effet, dans le cas d’actions privilégiées à dividendes discrétionnaires, l’auteure Marie-Pierre Allard note que les possibilités que le détenteur d’actions privilégiées à dividendes discrétionnaires reçoive un dividende sur ses actions sont minces et nécessairement liées à la capacité de ce détenteur de participer à la décision de déclarer et répartir un dividende sur ces actions. Ainsi, la valeur des actions ordinaires émises et en circulation d’une société ne devrait pas être réduite du simple fait que des actions privilégiées à dividendes discrétionnaires soient en circulation.

2.3. L’approche des évaluateurs experts

Nous reprendrons les principaux facteurs pertinents lors de l’évaluation d’actions à dividendes discrétionnaires, en fonction de positions adoptées par des évaluateurs agréés.

2.3.1. Les droits et privilèges conférés aux diverses catégories d’actions

Les évaluateurs experts avancent parfois que les actions ordinaires, avec droit de participation, sans droit de vote, à dividendes discrétionnaires n’ont que peu de valeur ou n’en ont pas. Pourtant, ces actions ne peuvent pas être considérées comme ayant une valeur nulle. Les actions avec droit de vote devraient conférer à leur détenteur une valeur minimale à cause de l’élément de contrôle qu’elles procurent ainsi qu’à cause de la capacité des administrateurs à remettre aux actionnaires un retour sur l’actif de la société, que ce soit sous forme de dividendes, de rémunération ou autrement. En effet, la détention d’actions de contrôle, qui est liée à la détention d’actions à dividendes discrétionnaires, crée un conduit entre les mains de leur détenteur lui permettant de potentiellement extraire toute la valeur de la société entre ses mains. Ainsi, pour empêcher la plus-value d’une catégorie particulière d’actions, il faut restreindre tant les droits de vote que le conduit de répartition des bénéfices et d’une autre participation dans l’actif de la société.

Les actions ordinaires à dividendes discrétionnaires de catégories distinctes, mais dont la description dans les statuts de la société est identique, donneront droit à leur détenteur de participer à la valeur de la société au prorata de leur détention d’actions en vertu de la règle d’évaluation « en bloc ». D’ailleurs, en cas d’actions ordinaires à dividendes discrétionnaires conférant des droits identiques entre les détenteurs, l’ARC est d’avis qu’elle prendra en compte le pourcentage de détention sans autres formalités. Cependant, si les droits ne sont pas identiques, il se peut que certaines catégories d’actions à dividendes discrétionnaires aient une valeur différente des autres, selon les circonstances.

Les actions privilégiées à dividendes discrétionnaires, quant à elles, comportent généralement l’un ou l’autre des privilèges suivants : elles sont rachetables unilatéralement (redeemable), rachetables au gré du détenteur (retractable) ou rachetables unilatéralement avec un terme suspensif comme le décès ou la faillite du détenteur. D’abord, les actions rachetables au gré du détenteur sont souvent assimilées à un billet à demande, puisque le détenteur est libre d’exiger le retour de son capital en toutes circonstances, sous réserve naturellement de la capacité de la société à payer la valeur de rachat. Dans un contexte typique d’actions privilégiées à dividendes discrétionnaires, les actions seront généralement rachetables au montant de leur capital déclaré ou émis et payé, plus tout dividende déclaré et impayé, selon le cas. L’ARC accepte que la JVM d’actions rachetables au gré de leur détenteur corresponde à leur valeur de rachat dans la mesure où la société est en mesure d’en acquitter le prix. Les commentaires d’auteurs sur cet aspect visent généralement les actions de gel qui n’ont rien à voir avec les actions privilégiées à dividendes discrétionnaires si ce n’est que, dans les deux cas, l’un des objectifs des fiscalistes est de maintenir la JVM de ces actions dans le temps à leur valeur lors de l’émission.

2.3.2. L’existence d’une convention entre actionnaires établissant une valeur aux actions

Les fiscalistes recommandent généralement à leurs clients d’intervenir à une convention entre actionnaires afin de déterminer à l’avance le cadre permettant d’établir ce qu’il adviendra des actions de l’un ou l’autre des actionnaires s’il désire quitter l’actionnariat, s’il décède ou s’il se retire autrement, volontairement ou involontairement, des affaires de la société. La convention entre actionnaires prévoit alors un mode de détermination de la valeur des actions selon différentes techniques, dont : 

  • la valeur comptable;
  • la valeur comptable régularisée, afin de tenir compte de la JVM de biens amortissables par exemple;
  • la valeur de rendement;
  • la valeur établie par un tiers (comptable professionnel agréé, évaluateur expert, etc.); 
  • la valeur convenue entre les actionnaires. 

L’existence d’une convention entre actionnaires ou d’autres documents contractuels peut avoir une influence et même être déterminante lors de la fixation de la JVM d’actions d’une société privée. Il s’agit à tout le moins d’une des « circonstances » dont on doit tenir compte.

Il est intéressant de noter que la Cour d’appel fédérale a déterminé que, dans certaines circonstances, il ne fallait pas prendre en considération, lors de l’évaluation, l’existence de restrictions sur le transfert des actions, mais qu’il fallait plutôt considérer que les actions étaient vendues sur un marché libre.

2.3.3. La position de contrôle ou la position minoritaire

Par contrôle, on entend le contrôle légal, c’est-à-dire le fait de détenir suffisamment de votes pour être en mesure d’élire tous (ou au moins une majorité) les administrateurs d’une société qui seront en mesure de diriger les affaires de celle-ci. Aux fins fiscales, on fait référence tant au contrôle de jure (la détention de plus de 50 % des droits de vote attachés aux actions émises et en circulation d’une société, permettant d’élire les administrateurs) qu’au contrôle de facto (la capacité de diriger les affaires de la société dans les faits, malgré une détention n’excédant pas 50 % des droits de vote attachés aux actions émises et en circulation de la société), le tout sous réserve des dispositions d’une convention unanime entre actionnaires. L’Institut canadien des experts en évaluation d’entreprise définit le contrôle comme suit : « pouvoir d’orienter la gestion et les politiques d’une entreprise ». Cette notion de contrôle devient particulièrement difficile lorsque l’on sort du concept de contrôle de jure pour entrer dans le concept de contrôle de facto. Dans un tel contexte, les faits devront montrer qu’un individu ou un groupe d’individus exerce un contrôle sur la société. Dans l’affaire 9044-2807 Québec inc. c. La Reine, la Cour d’appel fédérale a circonscrit le cadre requis pour établir l’existence d’un contrôle de fait. La Cour rappelle qu’il s’agit avant tout d’une question de fait et donne quelques exemples de facteurs permettant d’établir l’existence d’un contrôle de fait, tout en précisant qu’il n’est pas possible de tous les énumérer. Plus récemment, dans l’arrêt McGillivray Restaurant Ltd. c. Canada, la Cour d’appel fédérale est venue confirmer le courant jurisprudentiel à suivre afin d’établir un contrôle de fait au sens du paragraphe 256(5.1) L.I.R. en confirmant l’interprétation de la Cour dans la décision Silicon Graphics Ltd. c. Canada, et en écartant l’élargissement des critères, notamment dans l’arrêt Mimetix Pharmaceuticals Inc. c. La Reine. Essentiellement, on peut conclure à l’existence d’un contrôle de fait lorsque l’individu ou le groupe d’individus en cause dispose d’un droit et d’une capacité manifeste à procéder à des modifications importantes au sein du conseil d’administration de la société ou d’influencer de manière très directe les actionnaires ayant le pouvoir d’élire les membres du conseil d’administration.

Le contrôle peut être détenu par une seule personne, par un groupe de personnes ou par une famille. La position administrative de l’ARC semble être la suivante : le contrôle familial n’a pas d’incidence sur la répartition de la JVM des différentes catégories d’actions émises et en circulation, mais sera plutôt pris en compte pour répartir la valeur des actions entre les actionnaires détenteurs de la catégorie d’actions particulière qui confère le contrôle. Cette position n’est pas réconciliable avec l’analyse de la JVM de manière objective en fonction d’un acheteur sans lien de dépendance, puisqu’il s’agit plutôt d’une analyse subjective en fonction du point de vue de la famille qui vend ses parts, ce qui constitue un mode alternatif d’évaluation. D’ailleurs, la jurisprudence américaine sur ce sujet semble se diriger vers l’analyse objective, soit l’évaluation que ferait un acheteur hypothétique plutôt que celle que ferait ce vendeur en particulier.

Ainsi, en se basant sur la jurisprudence américaine, l’auteur Harder soutient qu’une analyse objective de la définition de JVM, en lien avec un acheteur hypothétique, plutôt qu’un vendeur hypothétique, est préférable. Cette approche est en accord avec certains principes d’évaluation, comme ceux-ci :

«  Shares should not be valued on their value to a specific owner, but rather on the basis of their value to a third purchaser. Such a purchaser will not have the same personal shareholder relationships as the original owner.

  • Fair market value includes only commercial transferable goodwill, and not “personal” goodwill.
  • Restrictions on share sales contained in a shareholder agreement are “assumed away” to allow a notional purchaser to buy into the company, although that purchaser will be subject to the restriction afterward. »

Cependant, ce point de vue n’est pas toujours partagé par les tribunaux comme nous le verrons plus loin.

À l’inverse, il est possible de réduire la valeur d’actions en cas de détention d’un bloc minoritaire d’actions, c’est-à-dire une proportion d’actions ne conférant pas à son détenteur un contrôle de jure. Le taux de réduction à appliquer peut varier selon différents critères, comme la grandeur de l’actionnariat, la relation entre les actionnaires, la présence d’un groupe de contrôle.

Il est intéressant de noter qu’il est possible que plusieurs participations minoritaires dans une société aient une très faible valeur individuellement, mais une grande valeur en bloc puisqu’un tiers qui achète toutes les parts minoritaires pourrait alors se retrouver avec un bloc de contrôle! Autrement dit, la somme des parties n’est pas nécessairement proportionnelle au tout. Il en va de même de la corrélation entre la plus-value à accorder à la position majoritaire en comparaison de l’escompte imposée à la position minoritaire : elles ne sont pas nécessairement correspondantes.

Finalement, bien qu’il existe de nombreuses décisions des tribunaux traitant du concept de contrôle de facto, nous n’avons trouvé aucune décision pertinente traitant de l’évaluation d’actions de sociétés privées dans un contexte de contrôle de facto. La jurisprudence que nous avons consultée traite essentiellement du contrôle de jure.

2.3.4. L’évaluation indépendante par rapport à l’évaluation subjective ou l’évaluation d’actions en bloc

Tant l’administration fiscale que les contribuables tendent à évaluer les actions sans droit de vote à dividendes discrétionnaires à une valeur nominale, puisqu’un détenteur de telles actions qui n’a pas de lien de dépendance avec les autres actionnaires peut être exclu de toute déclaration de dividende. Cela dit, bien que l’administration fiscale n’approuve pas cette méthode et considère que les actions ordinaires à dividendes discrétionnaires doivent être évaluées séparément des autres actions en circulation, il est souvent possible de considérer que ces actions ont une valeur supérieure en vertu d’une évaluation subjective (value to owner) ou dans le contexte d’une vente d’actions en bloc. À cet effet, Richard M. Wise indique ceci :

« [t]here may be a difference between considering, for valuation purposes, family minority shares or non-voting shares (a) in the hands of a family member who also owns the controlling shares and (b) in the hands of a family member who, by himself or herself, does not also hold the controlling shares. In the latter scenario, a material presumption must be made that the family shareholders will act in concert and simultaneously sell all the issued shares en bloc, with the result that the taxpayer’s minority shares will be valued pro-rata to all the issued shares. In the former scenario, where one individual shareholder holds two classes of shares, the result may be quite different, in that the individual shareholder has personal control over his or her commercial interests. »

En cas de détention d’actions sans droit de vote et d’actions avec droit de vote par un même actionnaire, certains tribunaux américains et anglais estiment qu’il ne faut pas attribuer d’escompte aux actions sans droit de vote, puisqu’un acquéreur potentiel acquérait les actions sans droit de vote au même moment qu’il acquerrait les actions avec droit de vote détenues par l’actionnaire vendeur.

Lorsque les actionnaires détenteurs d’actions avec droit de vote et les actionnaires d’actions sans droit de vote agissent d’une manière permettant de croire qu’ils n’attribuent aucune valeur au droit de vote, l’ARC n’attribuera généralement pas de valeur particulière aux droits de vote.

2.3.5. Le spectre du recours pour oppression

Afin de justifier la valeur d’actions ordinaires à dividendes discrétionnaires, les professionnels invoquent souvent le spectre du recours pour oppression d’un actionnaire lésé par un autre qui s’attribue, par voie de dividende discrétionnaire, une plus grande part de la valeur de la société que ce qui devrait par ailleurs lui revenir en vertu des droits de participation au reliquat des biens prévus aux statuts. De fait, il existe une position doctrinale selon laquelle les actions ordinaires sans droit de vote à dividendes discrétionnaires n’ont que peu de valeur ou n’en ont pas étant donné que l’actionnaire de contrôle peut élire le conseil d’administration qui gouverne la société et décider quand et à qui sont attribués les dividendes, à son entière discrétion. Cependant, le conseil d’administration ne peut agir d’une manière préjudiciable à l’actionnaire minoritaire. En effet, la Cour d’appel du Québec a déjà confirmé l’annulation d’un dividende discrétionnaire déclaré par le conseil d’administration étant donné qu’il avait pour effet de léser un actionnaire, en indiquant ceci :

« La Cour suprême, dans R. c. McClurg, tout en reconnaissant la validité d’une clause autorisant un dividende discrétionnaire, a précisé qu’une telle clause ne faisait pas disparaître l’obligation des administrateurs d’agir de bonne foi et au mieux des intérêts de la société. La qualification des devoirs des administrateurs est d’ailleurs maintenant inscrite au Code civil du Québec à l’article 322. L’intérêt de la société ne doit pas être confondu avec l’intérêt des administrateurs ni avec celui de certains de ses actionnaires. »

Par ailleurs, selon un auteur, l’un des impacts des arrêts de la Cour suprême du Canada McClurg c. Canada et Neuman c. MRN sur l’évaluation des actions à dividendes discrétionnaires est que le détenteur d’une participation minoritaire ne peut plus réclamer la pleine valeur par action (full prorata value) en argumentant qu’il pourrait intenter un recours pour oppression ou d’autres recours similaires en vertu des lois sur les sociétés s’il se jugeait lésé en cas de déclaration de dividendes dont il serait exclu. En effet, dans ces arrêts, la Cour suprême du Canada a confirmé qu’il était possible de faire une discrimination entre les actionnaires au moment de la déclaration d’un dividende, si cette discrimination est prévue aux statuts de la société.

2.4. Position administrative de l’Agence du revenu du Canada

L’ARC indique que les facteurs suivants seront pris en compte spécifiquement lors de l’établissement de la valeur d’actions d’une société privée :

« a) la nature de l’entreprise et l’histoire de celle-ci depuis sa création;

b) les perspectives de l’économie en général, la situation et les perspectives propres de l’industrie en question et la position de l’entreprise dans cette industrie;

c) le bilan, la situation financière et la structure du capital de l’entreprise visée;

d) le relevé des gains et la rentabilité de l’entreprise;

e) la capacité de l’entreprise de verser des dividendes;

f) l’existence d’un achalandage ou d’autres biens incorporels ou des deux;

g) les ventes d’actions de l’entreprise;

h) la taille du bloc d’actions à évaluer;

i) les prix en bourse d’actions comparables de corporations semblables qui exploitent le même genre d’entreprise, lorsque ces actions sont échangées activement sur un marché public ouvert ne faisant l’objet d’aucune restriction;

j) la valeur de l’actif de la corporation que les actions représentent. »

L’ARC précise qu’elle pourra pondérer ces facteurs de manière différente, en fonction des faits particuliers à chaque cas.

Bien qu’il soit impossible pour le moment d’établir avec certitude si le fait que des actions donnent droit à des dividendes discrétionnaires peut avoir une incidence quantifiable sur leur valeur, nous constatons ce qui suit :

  • L’ARC ne se prononce pas sur l’établissement de la JVM d’actions à dividendes discrétionnaires dans sa position administrative étant donné que la détermination de cette valeur ne relève pas de la Direction des décisions en impôts. L’ARC ne peut pas faire de commentaires généraux à l’égard de cette JVM.
  • Des actions privilégiées de gel donnant droit à un dividende dont le taux, à condition qu’il soit raisonnable, est fixé à la discrétion du conseil d’administration maintiennent leur valeur de rachat, et ce, malgré le fait que le droit au dividende ne soit pas fixe.
  • Dans certaines situations, un groupe d’actionnaires liés ou non entre eux peut contrôler une société, si ces actionnaires détiennent la majorité des actions avec droit de vote et agissent de concert, tant dans le passé qu’aux dates pertinentes. Lorsqu’un actionnaire minoritaire affirme qu’il fait partie d’un groupe familial qui contrôle la société, l’affirmation doit être examinée à la lumière de tous les faits pertinents, y compris les droits et les privilèges attachés aux actions qu’il détient. L’ARC souligne que cette politique ne vise que les positions minoritaires dont les droits attachés aux actions sont essentiellement les mêmes que ceux attachés aux actions de la majorité.
  • Il n’y a pas de réduction de valeur pour la détention d’une participation minoritaire dans le cas où le détenteur fait partie d’un groupe d’actionnaires, liés ou non, qui exerce ensemble le contrôle de la société.

Par ailleurs, M. Turnbull, évaluateur agréé, qui était évaluateur senior auprès de l’ARC en Colombie-Britannique avant de prendre sa retraite, a exprimé l’opinion que les actions ordinaires sans droit de vote à dividendes discrétionnaires ont une valeur nominale, bien que son point de vue ne lie pas l’administration fiscale. Selon ce point de vue, le fait que les détenteurs d’actions ordinaires avec droit de vote puissent extraire la valeur de la société en leur faveur fait en sorte qu’il ne reste que peu de valeur aux actions ordinaires sans droit de vote à dividendes discrétionnaires. Cela dit, il ressort de ce type d’analyse que les actions à dividendes discrétionnaires sont souvent utilisées dans un contexte familial et, de ce fait, il est important de prendre en compte la dynamique de prise de décision au sein de la famille lorsque vient le temps de procéder à une évaluation d’actions.

Dans son essai de maîtrise, Andrée Couture soutient que des actions à dividendes discrétionnaires de catégories distinctes comportant exactement les mêmes droits et privilèges (à l’exception du droit à un dividende discrétionnaire) devraient être considérées comme des actions comportant des droits et privilèges différents. Dans cet ordre d’idées, la politique de l’ARC selon laquelle les actions détenues par un groupe familial doivent être évaluées de manière proportionnelle entre elles ne peut servir pour évaluer proportionnellement des actions à dividendes discrétionnaires. S’il est déterminé que des actions de catégories spécifiques, comme les actions à dividendes discrétionnaires, n’ont pas de valeur, on ne pourrait pas leur donner une valeur artificielle en appliquant la règle du contrôle familial.

L’ARC ne transmet pas en principe au contribuable une copie du rapport d’évaluation sur lequel elle s’est fondée au stade de la cotisation, mais seulement les justifications de l’évaluation; en pratique, il semble courant qu’elle le fasse cependant à l’occasion. De toute manière, en cas de contestation judiciaire, un rapport devra être produit, mais ce ne sera pas nécessairement le même que celui utilisé lors de la détermination de la cotisation.

2.5. Jurisprudence traitant de l’évaluation d’actions à dividendes discrétionnaires

Les tribunaux n’ont pas souvent été saisis de situations requérant l’évaluation d’actions à dividendes discrétionnaires. Cela dit, plusieurs décisions importantes établissent les critères principalement retenus pour évaluer des actions en général. Il est intéressant de noter qu’en parallèle avec les éléments mentionnés ci-dessus, les tribunaux accordent beaucoup d’importance à la crédibilité du témoin expert chargé de procéder à l’évaluation des actions. Ils rejettent parfois les arguments de l’une ou l’autre des parties à cause d’une expertise déficiente. Il arrive aussi qu’ils rejettent les expertises des deux parties et fassent leur propre évaluation.

Lorsque les tribunaux interviennent en matière d’évaluation, ils considèrent chaque cas comme un cas d’espèce. Nous avons analysé diverses décisions ayant fait jurisprudence en matière d’évaluation d’actions dans un contexte de fiscalité. 

      • Sommaire des décisions analysées

Cause

Contexte

Droits conférés par les actions

JVM supérieure, égale ou inférieure à la valeur établie par les parties

Vote

Participation au reliquat

Div. discr.

Beament

Décès

X

JVM correspond à la valeur de rachat fixée dans les statuts

Fiddes Estate c. MRN

Décès

X

X

JVM des actions avec droit de vote
et de participation pari passu
avec actions sans droit de vote
et avec droit de participation

Mann

Décès

X

X

Winram

Décès

X

X

X

JVM accordée exclusivement aux actions avec droit de vote à dividendes discrétionnaires 

Terry c. La Reine

Donation

X

JVM nominale, sauf si vendues en bloc avec les actions donnant droit de vote

Shepp

Réorganisation

X

X

JVM des actions avec droit de vote
et de participation pari passu
avec actions sans droit de vote
et avec droit de participation

Savoie c. MRN

Insolvabilité

JVM d’actions rachetables nominales, malgré leur valeur de rachat

Larochelle c. La Reine

Insolvabilité

X

X

Décision soulignant l’importance à accorder à l’évaluateur expert

Jonas c. McCornell

Insolvabilité

X

X

JVM d’actions rachetables à une valeur nominale correspond plutôt à leur
quote-part dans la société selon une répartition pari passu avec les actions avec droit de participation

Voici, en ordre chronologique, quelques jugements importants en matière d’évaluation d’actions à dividendes discrétionnaires et, pour chacun, un résumé de ce qu’il faut en retenir. 

2.5.2. Affaire Winram – Évaluation d’actions ordinaires avec droit de vote et sans droit de vote, avec dividendes discrétionnaires, dans un contexte de décès

Dans un jugement rendu en 1972, la Cour fédérale du Canada, division de première instance, a déterminé la valeur d’actions ordinaires avec droit de vote et sans droit de vote à dividendes discrétionnaires émises et en circulation. Une femme et son mari sont actionnaires d’une société. La femme détient 990 actions ordinaires de catégorie B sans droit de vote et une action ordinaire de catégorie A avec droit de vote. Le mari détient 9 actions ordinaires de catégorie A avec droit de vote. Les statuts de la société prévoient qu’aucune action ne peut faire l’objet d’un transfert sans le consentement exprès du conseil d’administration qui peut alors, à son entière discrétion, accepter ou refuser le transfert. Les statuts de la société octroient de plus un vote prépondérant au président en cas d’égalité de votes et donnent le droit au conseil d’administration, par résolution ordinaire, de déclarer un dividende sur une catégorie d’actions sans qu’un dividende soit déclaré sur toute autre catégorie d’actions. En fonction de ce cadre juridique, le mari, qui occupe la charge de président du conseil d’administration formé de son épouse et lui-même, peut unilatéralement autoriser un transfert d’actions ou déterminer sur quelle catégorie d’actions un dividende est déclaré.

Au décès de Monsieur, l’exécuteur testamentaire évalue les actions qu’il détenait comme représentant 9/1000 (ou 0,90 %) de la valeur de la société, en considérant d’un seul bloc les actions des catégories A et B à évaluer. L’administration fiscale conteste cette répartition de la valeur et établit un nouvel avis de cotisation en évaluant les actions du défunt à 90 % de la valeur de la société, puisqu’il aurait pu s’attribuer 90 % des surplus de la société en déclarant un dividende exclusivement sur les actions de catégorie B. 

Selon la Cour fédérale, si une réunion des administrateurs avait été tenue à cet effet, le défunt aurait pu, en raison de son vote prépondérant, obtenir l’autorisation du conseil d’administration au transfert de ses neuf actions de catégorie A. Dans le cadre d’une réunion similaire, le défunt aurait également pu amener le conseil d’administration à autoriser le versement de l’ensemble des surplus de la société aux détenteurs d’actions de catégorie A, et ce, à l’exclusion des détenteurs d’actions de catégorie B. La Cour accepte en conséquence les arguments de l’administration fiscale. 

Ce jugement traite d’actions à dividendes discrétionnaires. Dans les circonstances particulières de cette affaire, les actions de catégorie B, sans droit de vote, ont peu de valeur ou n’en ont pas, du fait qu’il est possible pour le détenteur des actions de catégorie A, avec droit de vote, de s’attribuer toute la valeur de la société. Étant donné les lois actuelles sur les sociétés et les contraintes qu’il est usuel de retrouver dans les statuts des sociétés aujourd’hui, les conclusions de l’affaire Winram pourraient être différentes maintenant.

2.5.3. Affaire Shepp – Évaluation d’actions ordinaires avec droit de vote et sans droit de vote, avec dividendes discrétionnaires, dans un contexte de réorganisation de sociétés

En 1999, la Cour canadienne de l’impôt doit déterminer la valeur d’actions ordinaires sans droit de vote à dividendes discrétionnaires dans un contexte où une modification au capital-actions de la société rend ces actions convertibles en actions ordinaires avec droit de vote. Au moment du déroulement des faits donnant ouverture au litige, l’actionnariat de la société est réparti comme suit : 

  • particulier : 99 actions privilégiées et 62 actions ordinaires de catégorie A; 
  • conjoint du particulier : 1 action privilégiée et 1 action ordinaire de catégorie A;
  • fiducie au profit du fils du conjoint : 17 actions ordinaires de catégorie B. 

La description du capital-actions à cette date définit les droits des différentes catégories d’actions comme suit : i) les actions ordinaires de catégorie A ont droit de vote et donnent droit au dividende et au reliquat; ii) les actions ordinaires de catégorie B n’ont pas droit de vote et donnent droit au dividende et au reliquat; iii) les actions privilégiées donnent droit au rachat au gré du détenteur à un prix fixe. De plus, les statuts de la société permettent le versement d’un dividende aux actions ordinaires de catégorie A à l’exclusion des actions ordinaires de catégorie B. 

En 1989, le particulier accepte une offre d’achat d’un tiers sans lien de dépendance, visant l’ensemble des actions de la société. Afin de rendre les actions de la société plus attrayantes, les actionnaires de la société signent une résolution spéciale modifiant le capital-actions autorisé de celle-ci et octroyant notamment aux détenteurs d’actions de catégorie B le droit de convertir leurs actions en actions de catégorie A (un pour un). 

À la suite d’une série d’opérations, la société est vendue comme prévu et le particulier vend en conséquence l’ensemble de ses actions ordinaires de catégorie A; il déclare un gain en capital pour la vente de ces actions dans la déclaration de revenus. En 1993, le ministre du Revenu national envoie une nouvelle cotisation au particulier sur la base que la signature de la résolution spéciale entraînait l’octroi d’un intérêt économique au détenteur des actions de catégorie B, soit la Fiducie. Le ministre augmente donc le gain en capital total du particulier en tenant compte d’un produit de disposition supplémentaire réputé égal à la JVM de cet intérêt transféré. 

La question en litige repose sur l’effet de la résolution spéciale signée par les actionnaires. Cette résolution diluait-elle la valeur des actions ordinaires de catégorie A ou, autrement dit, augmentait-elle la valeur des actions ordinaires de catégorie B?

Le ministre soutient que les actions de catégorie B avaient une valeur nominale, voire nulle, mais que l’octroi d’un droit de conversion a eu pour effet d’augmenter considérablement leur valeur. À l’opposé, le particulier soutient que la valeur des actions ordinaires de catégorie B n’a pas été touchée par l’ajout d’un droit de conversion. Les arguments du particulier étaient principalement ceux-ci : i) l’offre visait l’ensemble de la société par opposition aux seules actions de catégorie A; ii) le droit de conversion a été octroyé afin de faciliter la vente de la société; iii) le droit de conversion a été octroyé afin de distribuer au prorata de la détention d’actions le produit de la vente; iv) les actions de catégorie A ont par le passé été rachetées à un prix établi au prorata des actions ordinaires des catégories A et B combinées; v) un recours en oppression est possible afin de contrecarrer tout abus de la part des détenteurs d’actions de catégorie A; vi) même une fois la conversion réalisée, un détenteur initial d’actions de catégorie A, soit le particulier, détenait toujours le contrôle, et par conséquent les détenteurs d’actions de catégorie B n’étaient pas avantagés à cet égard. Le ministre souligne quant à lui que le prix de vente de l’entreprise dans sa globalité est de peu d’aide dans l’évaluation des actions d’une catégorie précise. Il indique qu’avant la conversion, les actions ordinaires de catégorie B étaient sans droit de vote, non transférables sans l’accord du particulier et n’avaient pas de réelles perspectives de dividendes. De plus, bien que ces actions donnent droit au reliquat en cas de liquidation, aucune liquidation n’était envisagée dans les faits. 

La Cour adopte finalement la position du particulier et attribue une valeur égale aux actions des catégories A et B, avant comme après la signature de la résolution spéciale. Elle indique que la JVM des actions doit être déterminée selon le prix le plus élevé pouvant être obtenu pour les actions dans un marché ouvert dans lequel les parties négocient sans lien de dépendance. La Cour souligne que l’offre faite par le tiers pour l’ensemble de la société est un excellent indicateur de la JVM des actions des catégories A et B, sans distinction. Enfin, elle juge que la présence d’une clause autorisant le versement discrétionnaire de dividendes n’affaiblit en rien le droit d’un actionnaire au dividende.

Ce jugement est l’une des plus importantes et des plus récentes décisions qui portent sur l’effet, en matière d’évaluation, de la présence d’actions avec et sans droit de vote à dividendes discrétionnaires en circulation dans une société. L’affaire Shepp se distingue de l’affaire Winram, puisqu’il ne s’agit pas d’une évaluation d’actions détenues au décès et qu’une offre d’achat d’un tiers sans lien de dépendance a été faite. Certains auteurs recommandent de ne pas placer trop d’importance à ce jugement. La nature de l’entreprise doit justifier la valeur attribuée aux actions et l’ARC n’approuve pas ce jugement bien qu’elle ne l’ait pas porté en appel. En effet, ce jugement va à l’encontre de la position de l’ARC qui considère que les actions à dividendes discrétionnaires doivent être évaluées à la pièce, plutôt qu’en bloc.

2.5.4. Affaire Jonas – Évaluation d’actions ordinaires avec et sans droit de vote, avec dividendes discrétionnaires, dans un contexte d’insolvabilité

Dans cette affaire, des créanciers demandent de faire déclarer inopposable à leur égard une opération réalisée par leur débiteur en invoquant l’article 2 de la Loi sur les cessions en fraude des droits des créanciers de l’Ontario. 

Un particulier est actionnaire unique d’une société de gestion qui détient une filiale exploitant une entreprise ainsi que les immeubles utilisés dans le cadre de l’entreprise de la filiale. De 1994 à 2009, le particulier est le président de la société de gestion et de sa filiale. En 1995, la société de gestion émet 24 002 actions privilégiées au particulier au prix de 240,02 $, soit 0,01 $ par action. Ces actions donnent droit vote, rachetables par la société ou par le détenteur au prix du capital versé, plus tout dividende déclaré, mais non payé, et donnent droit à un dividende non cumulatif et au remboursement prioritaire du capital versé en cas de liquidation. De façon concurrente, la société de gestion émet 24 001 actions ordinaires à une fiducie au bénéfice du conjoint du particulier. Ces actions donnent droit de vote, de participation et au reliquat. De plus, les statuts de la société donnent expressément le droit aux administrateurs, à leur entière discrétion, de déclarer un dividende sur toute catégorie d’actions, et ce, même à l’exclusion d’autres catégories d’actions.

Durant cette période, le particulier garantit personnellement les prêts d’une autre société dans laquelle il détient des parts à hauteur de plusieurs millions de dollars. 

En 2008, la société de gestion procède au rachat de la totalité des actions détenues par le particulier à leur prix d’émission, soit 240,02 $, laissant la fiducie seule actionnaire de la société. À la suite du rachat, le particulier se retrouve dépourvu de tout actif, mais continue de s’impliquer au quotidien dans les opérations de la filiale. 

En 2009, des jugements totalisant plus de 7 M$ sont rendus contre le particulier à titre personnel. Ce dernier fait faillite en 2010. 

La Cour supérieure de l’Ontario conclut rapidement que les circonstances entourant le rachat indiquent que celui-ci a été effectué dans l’intention de mettre les actions de la société de gestion hors de la portée des créanciers du particulier. La question en litige porte donc essentiellement sur la valeur à laquelle le rachat d’actions s’est effectué. Le prix était-il considérablement inférieur à la valeur réelle des actions?

Afin de déterminer la valeur des actions en jeu, chaque partie a eu recours aux services d’un expert. Bien que les deux experts aient commencé leur analyse par la détermination de la valeur totale combinée de la société de gestion et de sa filiale, le pourcentage de cette valeur attribuable à chaque bloc d’actions fait l’objet d’un désaccord. 

L’expert du créancier a initialement évalué la valeur du bloc d’actions à 2 155 000 $ indiquant que 80 % de la valeur de l’entreprise (2 670 000 $) était attribuable aux actions du particulier. À l’opposé, l’expert du particulier a soutenu que les actions représentaient une valeur de 240,02 $, soit leur valeur de rachat. Les caractéristiques propres aux actions et l’importance accordée à chacune de ces caractéristiques expliquent l’écart entre les deux experts. 

L’expert du créancier a soutenu que 80 % de la valeur du groupe corporatif était attribuable aux actions privilégiées en s’appuyant sur les éléments suivants : i) le bloc d’actions privilégiées donne le contrôle sur la société de gestion, sa filiale et leur conseil d’administration; ii) le contrôle permet au particulier de déterminer quand et si ses actions seront rachetées; iii) le contrôle permet au particulier de déclarer, à sa seule discrétion, un dividende sur les actions privilégiées, à l’exclusion ou au bénéfice des détenteurs d’actions ordinaires; iv) les actions ordinaires ont une « valeur de nuisance ». 

L’expert du particulier a quant à lui soutenu que presque 0 % de la valeur du groupe de sociétés était attribuable aux actions privilégiées en s’appuyant sur les éléments suivants : i) les actions privilégiées n’ont pas droit au reliquat; ii) en cas de rachat, de dissolution et de liquidation, les actions privilégiées sont rachetables au prix fixe de 240,02 $. De façon alternative, l’expert du particulier appuie sa conclusion par l’attribution de 50,001 % de la valeur du groupe de sociétés aux actions privilégiées et par l’application d’une réduction étant donné le taux élevé de risque de litige. Selon l’expert du particulier, la déclaration de dividendes à l’exclusion des détenteurs d’actions ordinaires ne peut être effectuée sans qu’une poursuite pour oppression des droits des détenteurs d’actions ordinaires soit intentée. 

Le juge n’est pas totalement d’accord avec l’un ou l’autre des experts. Les deux experts ont des visions opposées sur l’effet de la structure du capital-actions de la société de gestion et choisissent certains attributs des actions pour supporter leur résultat final. La question ici n’est donc pas, selon le juge, une question de détermination de la valeur de l’entreprise ou des actions, mais bien une question d’appréciation des divers droits conférés aux actions. 

Selon le juge, en termes d’évaluation d’actions, le point de départ juste et rationnel est de distribuer la valeur de l’entreprise de façon proportionnelle avec l’intérêt de chaque actionnaire dans la société, c’est-à-dire 50,001 % pour les actions privilégiées et 49,999 % pour les actions ordinaires. En effet, le fait que les actions privilégiées ne participent pas au reliquat se trouve, selon le juge, compensé par le contrôle détenu par le détenteur de ces actions entre-temps, y compris le contrôle sur le versement de dividendes. Le tribunal souligne en effet que, jusqu’à ce qu’il y ait liquidation de la société, les actions privilégiées ont le droit de participer dans les revenus de la société par le biais de décisions justes et raisonnables des administrateurs ordonnant le versement de dividendes.

Selon le juge, la question de savoir si l’exercice du pouvoir des administrateurs élus par l’actionnaire en contrôle est effectué de manière à causer indûment préjudice aux actionnaires d’actions ordinaires dépend des circonstances. En assurant une distribution juste et raisonnable des dividendes futurs, le tribunal n’éprouve pas le besoin de diminuer la valeur des actions privilégiées, basé sur un risque de litige. 

Le tribunal conclut que la valeur pour laquelle les actions ont été transférées en novembre 2008 était grandement inadéquate, la valeur réelle des actions étant plutôt de l’ordre de 590 000 $ (la valeur totale de l’entreprise étant de 1,24 M$, approximativement, selon le tribunal), et déclare donc le transfert d’action inopposable aux créanciers.

Ce jugement est intéressant puisqu’il confirme la possibilité d’accorder une valeur à des actions avec droit de vote, sans droit de participation, à dividendes discrétionnaires, et ce, sans égard au spectre du recours pour oppression. Ainsi, des actions par ailleurs rachetables à une valeur nominale sont évaluées à la moitié de la valeur de la société. Il est important de noter que ce jugement a été rendu dans un contexte d’insolvabilité et qu’il a pour effet d’empêcher la protection de l’actif du débiteur en situation d’insolvabilité.

3. Limites fiscales à l’usage d’actions à dividendes discrétionnaires

Bien que l’efficacité des actions à dividendes discrétionnaires soit reconnue d’un point de vue légal, il demeure quelques risques à leur mise en place d’un point de vue fiscal.

L’ARC a indiqué à quelques reprises dans des interprétations techniques que l’émission ou l’annulation d’actions à dividendes discrétionnaires peut engendrer des conséquences insoupçonnées en ce qui a trait à l’évaluation de ces actions. 

Par exemple, lors d’opérations entre parties liées, la souscription d’actions à dividendes discrétionnaires par un nouvel actionnaire, à une valeur nominale, peut entraîner un transfert d’intérêt économique en faveur du souscripteur, de la part de l’actionnaire initial, si l’ARC considère que la JVM de ces actions excède leur prix de souscription.

Le risque fiscal lié à l’utilisation d’actions à dividendes discrétionnaires est presque toujours fondé sur l’évaluation de ces actions. Il est donc impossible de prévoir une réponse détaillée ou une défense générale pour chacune des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qu’entend utiliser l’ARC. Comme nous l’indiquons ci-dessous dans nos recommandations, il faut plutôt s’assurer qu’il n’y a pas d’ambiguïté quant à la valeur des actions à dividendes discrétionnaires tout au long de leur utilisation, c’est-à-dire lors de leur émission, de leur conversion ou d’une modification aux droits rattachés aux actions de cette catégorie ou d’une autre catégorie ou encore lors d’une disposition volontaire ou au décès. Dans la mesure du possible, il faut contrecarrer toute possibilité de réévaluation des actions à dividendes discrétionnaires par l’administration fiscale et faire en sorte que la valeur déterminée par le contribuable ou recommandée par son fiscaliste ne soit pas contestée ou, si elle l’est, qu’elle ne le soit pas avec succès.

Dans un contexte d’utilisation d’actions à dividendes discrétionnaires, l’ARC peut invoquer différentes dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu. Nous les examinerons tour à tour.

3.1. Article 6 L.I.R.

L’ARC peut considérer comme un avantage imposable consenti dans le cadre d’un emploi le fait de permettre à un employé de souscrire à des actions à dividendes discrétionnaires pour une valeur moindre que leur JVM.

3.2. Paragraphe 15(1) L.I.R.

L’ARC peut considérer que la société confère un avantage à un nouvel actionnaire (le souscripteur d’actions à dividendes discrétionnaires), correspondant à la différence entre la valeur de souscription et la JVM des actions à dividendes discrétionnaires.

3.3. Paragraphe 55(2) L.I.R.

3.3.1 Principe général

Il est impossible de traiter des aspects fiscaux liés à l’utilisation d’actions à dividendes discrétionnaires sans traiter des conséquences de la déclaration d’un dividende sur des actions à dividendes discrétionnaires en vue de distribuer du « revenu protégé » entre les actionnaires. 

Dans l’esprit des règles en vigueur jusqu’au 21 avril 2015, le paragraphe 55(2) L.I.R. prévoyait une détermination du revenu protégé en lien avec la diminution sensible du gain en capital qui aurait été réalisé et attribuable à autre chose qu’à du revenu protégé et non en lien avec l’action sur laquelle le dividende est déclaré. Ainsi, le dividende déclaré sur une action privilégiée à dividendes discrétionnaires aurait pour effet d’extraire le revenu protégé des actions ordinaires émises et en circulation. 

3.3.2 Nouvelle version de l’article 55 L.I.R.

Lors du dépôt du Budget fédéral de 2015, le ministère des Finances a annoncé un rajustement aux règles spécifiques antiévitement de l’article 55 L.I.R. relatives aux dividendes entre sociétés en réponse à un jugement défavorable rendu dans l’affaire D&D Livestock Ltd. c. La Reine. La nouvelle mouture de l’article 55 L.I.R. a finalement obtenu sa sanction royale le 22 juin 2016 dans la forme proposée le 31 juillet 2015 par le ministère des Finances.  

En général, un dividende versé d’une société à une autre n’entraîne aucun impôt de partie I ni aucun impôt de la partie IV L.I.R. entre sociétés rattachées, et ce, pourvu que le dividende ne soit pas visé par les règles spécifiques antiévitement de l’article 55 L.I.R. mentionnées précédemment. Le paragraphe 55(2) L.I.R. s’applique lorsqu’un dividende imposable est visé par le paragraphe 55(2.1) L.I.R., c’est-à-dire si les énoncés suivants se vérifient :

« […] a) le bénéficiaire de dividende a droit à une déduction en vertu des paragraphes 112(1) ou (2) ou 138(6) relativement au dividende;

b) l’un des faits ci-après s’avère : 

(i) l’un des objets du paiement ou de la réception du dividende (ou, dans le cas d’un dividende visé au paragraphe 84(3), l’un de ses résultats) a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d’une disposition d’une action du capital-actions à la juste valeur marchande effectuée immédiatement avant le dividende,

(ii) le dividende – à l’exception d’un dividende qui a été reçu lors du rachat, de l’acquisition ou de l’annulation d’une action par la société l’ayant émise auquel le paragraphe 84(2) ou (3) s’applique – a été reçu sur une action qui est détenue à titre d’immobilisation par le bénéficiaire de dividende et l’un des objets du paiement ou de la réception du dividende est, selon le cas : 

(A) de diminuer sensiblement la juste valeur marchande d’une action,

(B) d’augmenter sensiblement le coût des biens de sorte que le montant qui correspond au total des coûts indiqués des biens du bénéficiaire de dividende immédiatement après le dividende soit sensiblement supérieur au montant qui correspond au total des coûts indiqués des biens du bénéficiaire de dividende immédiatement avant le dividende;

c) le montant du dividende est supérieur au montant du revenu gagné ou réalisé par une société – après 1971 et avant le moment de détermination du revenu protégé quant à l’opération, à l’événement ou à la série d’opérations ou d’événements – qu’il serait raisonnable de considérer comme contribuant au gain en capital qui aurait été réalisé lors d’une disposition à la juste valeur marchande, effectuée immédiatement avant le dividende, de l’action sur laquelle le dividende a été reçu ». »

Par ailleurs, les exceptions prévues à l’alinéa 55(3)a) L.I.R. pour les transactions avec lien de dépendance sont maintenant limitées aux dividendes auxquels le paragraphe 84(2) ou 84(3) L.I.R. s’applique.

3.3.3 Importance accordée au concept de « revenu protégé »

Ainsi, en vertu de ces nouvelles règles, il est très important de faire un suivi détaillé du montant de revenu gagné ou réalisé par une société, le « revenu protégé », puisque seuls les dividendes attribuables au revenu protégé ou les dividendes réputés visés aux paragraphes 84(2) et 84(3) L.I.R. dans un contexte de lien de dépendance sont exempts de l’application du nouvel article 55 L.I.R.

En vertu de ces nouvelles règles, il n’est plus possible d’utiliser des actions privilégiées à dividendes discrétionnaires pour attribuer des dividendes à une société de gestion sans conséquences fiscales, même dans un contexte de personnes liées.

Selon l’ARC, « la détermination du revenu protégé en main afférente à des actions d’une société donnée est fondée sur le droit de ces actions de participer dans le revenu protégé de la société et est fonction de la “période de détention” desdites actions ». De plus, le calcul du revenu protégé se fera de manière proportionnelle à la participation des actions de la société au reliquat des biens en cas de liquidation et dissolution. Toutefois, dans un contexte d’actions ordinaires à dividendes discrétionnaires, cette répartition ne peut se faire aussi facilement et pourrait être attribuée de manière non proportionnelle à la participation à la plus-value. Par exemple, l’ARC a déjà indiqué que tout le revenu protégé peut être attribuable aux actions ordinaires avec droit de vote à dividendes discrétionnaires au détriment d’actions ordinaires sans droit de vote à dividendes discrétionnaires. Dans cette logique, les actions privilégiées à dividendes discrétionnaires dont la valeur est fixe ne devraient pas accumuler de revenu protégé. 

Depuis le dépôt des propositions législatives créant le paragraphe 55(2.1) L.I.R., l’ARC a été appelée à clarifier sa position administrative relative à la répartition et à la distribution du revenu protégé dans un contexte d’actions à dividendes discrétionnaires. En effet, l’ancien paragraphe 55(2) L.I.R. prévoyait qu’un dividende était visé par cette disposition si :

« l’un des résultats a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d’une disposition d’une action du capital-actions à la juste valeur marchande immédiatement avant le dividende et qu’il serait raisonnable de considérer comme étant attribuable à autre chose qu’un revenu gagné ou réalisé par une société après 1971 et avant le moment de détermination du revenu protégé quant à l’opération, à l’événement ou à la série ». (Notre soulignement)

Le concept a été remplacé par l’alinéa 55(2.1)c) L.I.R. :

« le montant du dividende est supérieur au montant du revenu gagné ou réalisé par une société – après 1971 et avant le moment de détermination du revenu protégé quant à l’opération, à l’événement ou à la série d’opérations ou d’événements – qu’il serait raisonnable de considérer comme contribuant au gain en capital qui aurait été réalisé lors d’une disposition à la juste valeur marchande, effectuée immédiatement avant le dividende, de l’action sur laquelle le dividende a été reçu ». (Notre soulignement)

Ainsi, dans les deux cas, le législateur semble considérer que le paragraphe 55(2) L.I.R. ne trouvera pas application si le montant du dividende entraîne une réduction du gain latent sur une action à condition que ce gain latent soit considéré comme provenant du « revenu protégé ».

Dans une interprétation technique récente, l’ARC a affirmé que sa position administrative antérieure ne couvrirait pas les problèmes de répartition du revenu protégé selon les nouvelles règles.

3.3.4 Position administrative récente

Exemple no 1 – Actions privilégiées à dividendes discrétionnaires émises après un gel

Opco

Actions ordinaires

M. A

Actions privilégiées de gel

Actions privilégiées à 

div. discr.

M. B

M. C

Opco

Actions ordinaires

M. A

Actions privilégiées de gel

Actions privilégiées à 

div. discr.

M. B

M. C

Des actions ordinaires (avec droit de vote et droit de participation quant au reliquat des biens en cas de liquidation) ainsi que des actions privilégiées (sans droit de vote et sans droit de participation quant au reliquat des biens en cas de liquidation) à dividendes discrétionnaires sont émises après un gel successoral. 

Si les actions privilégiées à dividendes discrétionnaires n’ont pas de gain latent, aucun revenu protégé ne peut être considéré comme contribuant au gain en capital qui aurait été réalisé lors d’une disposition à la JVM avant la déclaration du dividende, puisqu’aucun gain latent n’existe. Ainsi, un dividende déclaré sur ces actions serait visé par le paragraphe 55(2.1) L.I.R. Ce dividende aurait pour effet de réduire le revenu protégé des actions avec droit de participation, mais l’ARC accepte que le revenu protégé des actions avec droit de participation ne soit pas touché lorsque le dividende est visé par le paragraphe 55(2) L.I.R.

Exemple no 2 – Actions ordinaires à dividendes discrétionnaires

Opco

Actions ordinaires A

(div. discr.)

M. A

Actions ordinaires B

(div. discr.)

Actions ordinaires C

(div. discr.)

M. B

M. C

Opco

Actions ordinaires A

(div. discr.)

M. A

Actions ordinaires B

(div. discr.)

Actions ordinaires C

(div. discr.)

M. B

M. C

La JVM des actions d’Opco serait de 120 300 $ et le prix de base rajusté (« PBR ») serait de 100 $ par catégorie d’actions. Le reliquat des biens d’Opco est partagé en parts égales entre les actions A, B et C en cas de liquidation.

La question est de savoir si on peut conclure qu’il serait raisonnable de considérer qu’un montant de revenu protégé en main égal au dividende contribuerait au gain en capital qui aurait été réalisé lors d’une disposition à la JVM, effectuée immédiatement avant le dividende, de l’action sur laquelle le dividende aurait été reçu. Il faut donc considérer le montant du dividende dans la détermination de la valeur des actions de la catégorie lors du paiement du dividende. Dans ce contexte, il serait raisonnable de considérer que le dividende de 35 000 $ déclaré au détenteur d’une catégorie provienne en totalité du revenu protégé, puisque le détenteur de cette catégorie aurait droit à une valeur supérieure de 35 000 $ par rapport aux détenteurs des autres catégories. Ensuite, les actions détenues par chacun des actionnaires auraient une valeur de 28 333 $ (soit (120 300 $ – 35 000 $) / 3) et le revenu protégé attaché aux actions de chacune des catégories serait de 18 333 $ (soit (90 000 $ – 35 000 $) / 3).

Exemple no 3 – Actions privilégiées à dividendes discrétionnaires réparties entre plusieurs actionnaires

Opco

Actions ordinaires

+

Actions privilégiées A

(div. discr.)

M. A

Actions ordinaires

+

Actions privilégiées B

(div. discr.)

Actions ordinaires

+

Actions privilégiées C

(div. discr.)

M. B

M. C

Opco

Actions ordinaires

+

Actions privilégiées A

(div. discr.)

M. A

Actions ordinaires

+

Actions privilégiées B

(div. discr.)

Actions ordinaires

+

Actions privilégiées C

(div. discr.)

M. B

M. C

Trois actionnaires non liés détiennent la totalité des actions d’une société par actions. Chaque actionnaire détiendrait une catégorie distincte d’actions privilégiées à dividendes discrétionnaires et des actions ordinaires réparties en parts égales. Le revenu protégé de la société est de 90 000 $. Le conseil d’administration déclare un dividende de 35 000 $ au détenteur d’actions d’une catégorie d’actions privilégiées à dividendes discrétionnaires à l’exclusion des deux autres.

Dans ce cas particulier, l’ARC ne se prononce pas sur la valeur à attribuer aux actions privilégiées des catégories A, B et C. L’ARC détermine que, s’il n’y a aucun gain latent sur ces actions, elles n’ont alors pas de revenu protégé et le paragraphe 55(2) L.I.R. trouvera application. Dans ce cas, le dividende n’aura pas pour effet de réduire le revenu protégé d’Opco. Toutefois, s’il était possible d’attribuer un gain latent aux actions privilégiées à dividendes discrétionnaires, le paragraphe 55(2) L.I.R. pourrait ne pas trouver application et le revenu protégé d’Opco serait alors réduit du montant du dividende déclaré.

Exemple no 4 – Actions ordinaires à dividendes discrétionnaires, structure de purification continue

Opco

39 actions ordinaires A

(div. discr.)

M. A

11 actions ordinaires B

(div. discr.)

39 actions ordinaires A

(div. discr.)

M. B

Gesco A

Gesco B

11 actions ordinaires C

(div. discr.)

Opco

39 actions ordinaires A

(div. discr.)

M. A

11 actions ordinaires B

(div. discr.)

39 actions ordinaires A

(div. discr.)

M. B

Gesco A

Gesco B

11 actions ordinaires C

(div. discr.)

Deux particuliers non liés sont les actionnaires ultimes d’une société par actions. Ils détiennent chacun 39 actions ordinaires A à dividendes discrétionnaires alors que leurs sociétés de gestion détiennent chacune 11 actions ordinaires à dividendes discrétionnaires de catégories distinctes (B et C). Le revenu protégé d’Opco est de 100 000 $. Gesco A et Gesco B reçoivent chacune 50 000 $ en dividendes.

La JVM des actions d’Opco serait de 120 100 $ et le PBR serait de 1 $ par action d’Opco. Le reliquat des biens d’Opco est partagé en parts égales entre les actions A, B et C en cas de liquidation.

Dans ce contexte, en tenant compte de la valeur supplémentaire de 50 000 $ égale au dividende payé sur les actions ordinaires des catégories B et C, l’ARC est d’avis que chacun des dividendes de 50 000 $ ne serait pas supérieur au revenu protégé qu’on pourrait attribuer au gain latent sur chacune des catégories B et C. Par conséquent, le paragraphe 55(2) L.I.R. ne trouverait pas application.

Exemple no 5 – Actions ordinaires et privilégiées à dividendes discrétionnaires, structure de purification continue

Opco

49 actions ordinaires A

(div. discr.)

Frère A

1 action priv. B

(div. discr.)

49 actions ordinaires A

(div. discr.)

Frère B

Gesco A

Gesco B

1 action priv. C

(div. discr.)

Opco

49 actions ordinaires A

(div. discr.)

Frère A

1 action priv. B

(div. discr.)

49 actions ordinaires A

(div. discr.)

Frère B

Gesco A

Gesco B

1 action priv. C

(div. discr.)

Deux frères sont les actionnaires ultimes d’une société par actions. Ils détiennent chacun 49 actions ordinaires A à dividendes discrétionnaires alors que leurs sociétés de gestion détiennent chacune une action privilégiée (avec droit de vote, mais sans droit de participation au reliquat en cas de liquidation ou dissolution) à dividendes discrétionnaires de catégories distinctes (B et C). Le revenu protégé d’Opco est de 100 000 $. Gesco A et Gesco B reçoivent chacune 50 000 $ en dividendes.

Dans ce cas particulier, l’ARC ne se prononce pas sur la valeur à attribuer aux actions privilégiées de catégories B et C. L’ARC détermine que, s’il n’y a aucun gain latent sur ces actions, elles n’ont alors pas de revenu protégé et le paragraphe 55(2) L.I.R. trouvera application. Dans ce cas, le dividende n’aura pas pour effet de réduire le revenu protégé d’Opco. Toutefois, s’il était possible d’attribuer un gain latent aux actions privilégiées à dividendes discrétionnaires, le paragraphe 55(2) L.I.R. pourrait ne pas trouver application et le revenu protégé d’Opco serait alors réduit du montant du dividende déclaré.

Exemple no 6 – Structure de fractionnement de revenus entre conjoints en instance de divorce

Opco

99 actions ordinaires A

(div. discr.)

M. A

1 action ordinaire B

(div. discr.)

Mme A

Opco

99 actions ordinaires A

(div. discr.)

M. A

1 action ordinaire B

(div. discr.)

Mme A

M. A et Mme A sont des conjoints en instance de divorce. M. A détient 99 actions ordinaires A à dividendes discrétionnaires alors que Mme A détient une action ordinaire B à dividendes discrétionnaires. Dans le cadre du divorce, il est convenu que Mme A obtienne 90 % de la valeur d’Opco, malgré le fait qu’elle ne détienne que 1 % des actions avec droit de participation. Afin de procéder à ce règlement, Mme A « roule » son action ordinaire B à une société de gestion qu’elle contrôle. Un dividende d’un montant correspondant à 90 % de la valeur d’Opco est alors déclaré et payé à la société de gestion de Mme A. Finalement, l’action ordinaire B détenue par la société de gestion est achetée de gré à gré pour 1 $.

La JVM des actions d’Opco serait de 120 100 $ et le PBR serait de 1 $ par action d’Opco. Le reliquat des biens d’Opco est partagé en parts égales entre les actions A et B en cas de liquidation. Le revenu protégé d’Opco serait de 100 000 $.

Dans ce contexte, le dividende de 108 000 $ (soit 90 % × 120 000 $) serait supérieur de 8 000 $ au revenu protégé d’Opco de 100 000 $. Puisqu’il est raisonnable que considérer que le dividende réduirait de manière significative la valeur des actions de catégorie A et serait d’Opco. Le dividende pourrait être entièrement couvert par du revenu protégé et le paragraphe 55(2) L.I.R. s’appliquerait à l’égard de ce dividende reçu par la société de gestion de Mme A, sous réserve de l’application de l’alinéa 55(5)f) L.I.R.

Exemple no 7 – Actions ordinaires à dividendes discrétionnaires

Opco

M. X

1 000 actions ord. A

(div. discr.)

M. Y

Gestion 1

Gestion 2

1 000 actions ord. B

(div. discr.)

Opco

M. X

1 000 actions ord. A

(div. discr.)

M. Y

Gestion 1

Gestion 2

1 000 actions ord. B

(div. discr.)

Deux particuliers non liés sont les actionnaires ultimes d’une société par actions. Leurs sociétés de gestion détiennent chacune 1 000 actions ordinaires à dividendes discrétionnaires de catégories distinctes (A et B). Le revenu protégé d’Opco est de 1 M$. La JVM des actions d’Opco serait de 2 M$. Le reliquat des biens d’Opco est partagé en parts égales entre les actions A et B en cas de liquidation. 

Gestion 2 veut se départir des actions ordinaires B qu’elle détient dans le capital-actions d’Opco. Opco achète de gré à gré les actions ordinaires B pour un montant de 1 M$.

Le revenu protégé attaché aux actions ordinaires B serait de 500 000 $. Le dividende réputé lors de l’achat des actions ordinaires B serait donc supérieur d’environ 500 000 $ au revenu protégé. L’alinéa 55(5)f) L.I.R. s’appliquerait afin de considérer le dividende de 500 000 $ comme étant un dividende imposable distinct. Le paragraphe 55(2) L.I.R. trouverait application sur la portion du dividende réputé non couvert par du revenu protégé. 

Le revenu protégé attaché aux actions ordinaires A demeurerait inchangé à 500 000 $, puisque la valeur des actions ordinaires A demeure inchangée.

Exemple no 8 – Actions ordinaires à dividendes discrétionnaires

Opco

M. X

1 000 actions ord. A

(div. discr.)

M. Y

Gestion 1

Gestion 2

1 000 actions ord. B

(div. discr.)

Opco

M. X

1 000 actions ord. A

(div. discr.)

M. Y

Gestion 1

Gestion 2

1 000 actions ord. B

(div. discr.)

Deux particuliers non liés sont les actionnaires ultimes d’une société par actions. Leurs sociétés de gestion détiennent chacune 1 000 actions ordinaires à dividendes discrétionnaires de catégories distinctes (A et B). Le revenu protégé d’Opco est de 1 M$. La JVM des actions d’Opco serait de 2 M$. Le reliquat des biens d’Opco est partagé en parts égales entre les actions A et B en cas de liquidation. 

Gestion 2 veut se départir des actions ordinaires B qu’elle détient dans le capital-actions d’Opco. Opco verse un dividende discrétionnaire de 1 M$ à Gestion 2, puis achète de gré à gré les actions ordinaires B pour un montant de 1 $. En raison de caractéristiques particulières des actions ordinaires A et B, la JVM des actions ordinaires A, avant et après le dividende, demeurerait à 1 M$ et celle des actions ordinaires B serait réduite du montant du dividende discrétionnaire.

Compte tenu du fait que le dividende n’aurait pas pour effet de réduire la valeur des actions ordinaires A, il serait raisonnable que le revenu protégé extrait par ce dividende représente la moitié du revenu protégé d’Opco. Le dividende discrétionnaire de 1 M$ serait supérieur au revenu protégé des actions ordinaires B de 500 000 $. L’alinéa 55(5)f) L.I.R. s’appliquerait afin de considérer le dividende de 500 000 $ comme étant un dividende imposable distinct. Le paragraphe 55(2) L.I.R. trouverait application pour la portion du dividende réputé non couvert par du revenu protégé. Le revenu protégé des actions ordinaires A demeurerait inchangé à 500 000 $ et leur valeur serait toujours de 1 M$.

Il est intéressant de noter que l’ARC a mentionné en « obiter » que, si le dividende avait eu pour effet de réduire la valeur des actions de catégorie A, cela aurait pour conséquence de majorer la valeur des actions ordinaires B d’autant et le montant du dividende aurait alors été égal au revenu protégé d’Opco et aurait réduit le revenu protégé d’Opco.

Exemple no 9 – Actions ordinaires avec et sans droit de vote à dividendes discrétionnaires

Nous avons effectué une demande d’interprétation technique afin d’obtenir la position administrative de l’ARC quant à la répartition du revenu protégé et à sa distribution dans un contexte où des actions à dividendes discrétionnaires, avec droit de vote et sans droit de vote, toutes avec droit de participation quant au reliquat des biens en cas de liquidation étaient émises et en circulation dans une société détenue par des actionnaires avec lien de dépendance. Voici l’essentiel des faits exposés dans cette demande ainsi que le traitement fiscal suggéré :

Mise en situation

Opco

500 ord. A

avec droit de vote 

(div. discr.)

PÈRE

ENFANT 1

ENFANT 3

ENFANT 2

MÈRE

500 ord. B

sans droit de vote 

(div. discr.)

500 ord. C

sans droit de vote 

(div. discr.)

500 ord. D

sans droit de vote 

(div. discr.)

500 ord. E

sans droit de vote 

(div. discr.)

Opco

500 ord. A

avec droit de vote 

(div. discr.)

PÈRE

ENFANT 1

ENFANT 3

ENFANT 2

MÈRE

500 ord. B

sans droit de vote 

(div. discr.)

500 ord. C

sans droit de vote 

(div. discr.)

500 ord. D

sans droit de vote 

(div. discr.)

500 ord. E

sans droit de vote 

(div. discr.)

  • OPCO est une société régie par la Loi canadienne sur les sociétés par actions qui n’exploite pas d’entreprise;
  • OPCO détient des placements et la JVM totale de ses actions est évaluée à 500 000 $;
  • Le revenu protégé en main d’OPCO s’élève à 450 000 $;
  • OPCO compte cinq actionnaires qui se répartissent les actions ainsi :
    • PÈRE : 500 actions A sont avec droit de vote et confèrent à leur détenteur le droit à un dividende discrétionnaire et au reliquat des biens de la société en cas de liquidation ou dissolution pari passu avec les actions des catégories B, C, D et E;
    • MÈRE : 500 actions B sont sans droit de vote et confèrent à leur détenteur le droit à un dividende discrétionnaire et au reliquat des biens de la société en cas de liquidation ou dissolution pari passu avec les actions des catégories A, C, D et E;
    • ENFANT 1 : 500 actions C sont sans droit de vote et confèrent à leur détenteur le droit à un dividende discrétionnaire et au reliquat des biens de la société en cas de liquidation ou dissolution pari passu avec les actions des catégories A, B, D et E
    • ENFANT 2 : 500 actions D sont sans droit de vote et confèrent à leur détenteur le droit à un dividende discrétionnaire et au reliquat des biens de la société en cas de liquidation ou dissolution pari passu avec les actions des catégories A, B, C et E
    • ENFANT 3 : 500 actions E sont sans droit de vote et confèrent à leur détenteur le droit à un dividende discrétionnaire et au reliquat des biens de la société en cas de liquidation ou dissolution pari passu avec les actions des catégories A, B, C et D.
  • Tous les actionnaires sont des personnes liées;
  • OPCO n’a pas d’impôt en main remboursable au titre de dividendes;
  • Toutes les actions d’OPCO ont été émises au même moment;
  • Nous prenons comme hypothèse que chacune des catégories du capital social d’OPCO aurait une valeur de 100 000 $, et ce, en respect de l’opinion de la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Shepp;
  • Tel qu’il est indiqué dans l’interprétation technique 2012-0448651E5, puisque le gain latent est réparti au prorata des actions émises et en circulation d’OPCO, le revenu protégé (« RP ») sera réparti au prorata de ces actions, soit :
    • 500 actions A : JVM : 100 000 $ et RP : 90 000 $;
    • 500 actions B : JVM : 100 000 $ et RP : 90 000 $;
    • 500 actions C : JVM : 100 000 $ et RP : 90 000 $;
    • 500 actions D : JVM : 100 000 $ et RP : 90 000 $;
    • 500 actions E : JVM : 100 000 $ et RP : 90 000 $.

Transactions envisagées

  • Constitution de GESCO, une société par actions régie par la Loi canadienne sur les sociétés par actions;
  • Roulement par chacun de PÈRE, MÈRE, ENFANT 1 et ENFANT 2 de la totalité de leurs actions d’OPCO en faveur de GESCO, payable par l’émission par GESCO d’actions du capital social de GESCO comportant des droits identiques aux actions cédées par chacun des actionnaires. Après cette transaction, les actions de GESCO se répartissent de manière identique à celle décrite pour OPCO ci-dessus.
  • Achat par OPCO des actions suivantes que détient GESCO dans son capital social, payable par l’émission d’un billet à demande sans intérêts que GESCO accepte en paiement :
    • 499 actions A pour 99 800 $,
    • 500 actions B pour 100 000 $,
    • 500 actions C pour 100 000 $,
    • 500 actions D pour 100 000 $;
  • Déclaration par OPCO d’un dividende discrétionnaire de 100 199 $ sur l’action A détenue par GESCO payable par l’émission d’un billet à demande sans intérêts que GESCO accepte en paiement;
  • Achat par OPCO de 500 actions E détenues par ENFANT 3 au montant de 1 $ payable comptant;
  • Aucune autre transaction ne fait partie de la série d’opérations;
  • Fusion d’OPCO et GESCO.

Questions

  • À l’étape 3), est-ce que le paragraphe 55(2) L.I.R. trouve application? Si oui, quel est son effet?
  • À l’étape 4), est-ce que le paragraphe 55(2) L.I.R. trouve application? Si oui, quel est son effet?

Notre interprétation

  • À l’étape 3), cet achat de gré à gré entraînera pour GESCO un dividende réputé en vertu du paragraphe 84(3) L.I.R. Ce dividende sera imposable pour GESCO en vertu de la partie I L.I.R., mais sera admissible à une déduction dans le calcul du revenu imposable en vertu de l’article 112 L.I.R. Par ailleurs, puisque GESCO et OPCO sont rattachées l’une à l’autre, il n’y aura pas d’impôts de la partie IV L.I.R.

Ce dividende ne devrait pas faire l’objet d’une recaractérisation en gain en capital sous le régime du paragraphe 55(2) L.I.R., puisque, malgré le fait que les conditions d’application du paragraphe 55(2.1) L.I.R. sont remplies, il sera visé par les cas d’exception prévus à l’alinéa 55(3)a) L.I.R. 

Par ailleurs, si pour quelque raison que ce soit, le paragraphe 55(2) L.I.R. devait trouver application, son application sera limitée à l’excédent du dividende réputé sur le montant de revenu protégé afférent à ces actions, tel qu’il est prévu aux alinéas 55(2.1)c) et 55(5)f) L.I.R. De fait, voici les montants qui pourraient ainsi être convertis en gain en capital :

  • 499 action A : JVM : 99 800 $, moins RP : 89 820 $ = dividende recaractérisé en gain en capital de 9 980 $;
  • 500 action B : JVM : 100 000 $, moins RP : 90 000 $ = dividende recaractérisé en gain en capital de 10 000 $;
  • 500 action C : JVM : 100 000 $, moins RP : 90 000 $ = dividende recaractérisé en gain en capital de 10 000 $;
  • 500 action D : JVM : 100 000 $, moins RP : 90 000 $ = dividende recaractérisé en gain en capital de 10 000 $.
  • À l’étape 4), quant au dividende de 100 199 $ déclaré et payé par OPCO sur l’action A détenue par GESCO, il apparaît que les conditions d’application des alinéas 55(2.1)a) et 55(2.1)b) L.I.R. soient remplies. Il reste à déterminer quel montant de ce dividende peut être attribuable à du revenu protégé. De fait, immédiatement avant la déclaration du dividende, le revenu protégé total d’OPCO s’élève à 90 180 $. Puisque le dividende a pour effet de réduire à 1 $ la valeur totale d’OPCO, il est raisonnable de considérer que le dividende contribue au gain en capital qui pourrait être réalisé lors d’une disposition à la JVM, immédiatement avant le dividende de l’action sur laquelle le dividende a été reçu. Ainsi, seulement l’excédent du dividende de 100 199 $ sur le revenu protégé de 90 180 $ sera visé par le paragraphe 55(2) L.I.R.

En effet, conformément à ce qui est indiqué à l’interprétation technique 2016-063310, le dividende discrétionnaire diminue la valeur de toutes les actions participantes d’OPCO et la catégorie A qui reçoit le dividende a ainsi droit à une valeur supplémentaire par rapport à l’autre catégorie. Nous devons donc considérer que la JVM des actions A est majorée du montant du dividende discrétionnaire par rapport aux actions B. Nous pouvons conclure que le revenu gagné ou réalisé qui contribuerait au gain en capital sur les actions A est égal au revenu protégé en main d’OPCO et que le dividende discrétionnaire a réduit ledit revenu protégé en main d’OPCO.

  • Aucun des paragraphes 15(1), 56(2), 69(1), 245(2) ou 246(1) L.I.R. ne trouve application dans la série d’opérations décrite aux étapes 1 à 7 ci-dessus.

3.4. Alinéa 55(3)b) L.I.R.

L’ARC indique que l’incertitude liée à l’évaluation d’actions à dividendes discrétionnaires pourrait rendre plus difficile le respect des conditions pour considérer qu’il y a une attribution, telle qu’elle est définie au paragraphe 55(1) L.I.R., aux fins de la mise en place d’une transaction papillon.

3.5. Paragraphe 56(2) L.I.R.

L’ARC invoque souvent le spectre du transfert d’un intérêt économique lorsqu’un actionnaire permet qu’un dividende soit distribué en faveur d’un autre actionnaire. Cependant, il semble maintenant acquis que cette disposition ne trouve pas application dans les situations de fractionnement de revenus utilisant des actions à dividendes discrétionnaires. Par ailleurs, malgré le fait que l’arrêt Neuman ait été rendu par la Cour suprême du Canada avant l’entrée en vigueur de la règle générale antiévitement, l’ARC ne l’appliquera pas dans des situations semblables. Pour que le paragraphe 56(2) L.I.R. soit retenu, il faut montrer que la personne qui donne instruction de payer un montant a un droit préexistant à ce montant, ce qui n’est pas le cas du détenteur d’actions à dividendes discrétionnaires. 

Il faut ainsi porter une attention toute particulière à la renonciation aux dividendes comme méthode alternative aux actions à dividendes discrétionnaires. Certains auteurs sont réticents à utiliser la renonciation aux dividendes afin de répartir un dividende, sans qu’il soit assujetti au mode de répartition prévu au capital-actions d’une société.

3.6. Paragraphe 69(1) L.I.R.

L’ARC peut considérer qu’un cédant confère un avantage à un cessionnaire lié lors d’un transfert d’actions à dividendes discrétionnaires pour une valeur inférieure à leur JVM. Il y a alors double imposition, puisque le cédant doit utiliser un produit de disposition correspondant à la JVM déterminée par l’administration fiscale alors que le cessionnaire disposera d’un PBR correspondant au prix effectivement payé au cédant.

L’ARC peut également considérer qu’une société confère un avantage à un souscripteur lié lors de l’émission d’actions à dividendes discrétionnaires pour une valeur inférieure à leur JVM. Le souscripteur peut alors se voir imposé sur un avantage correspondant au prix payé pour les actions lors de leur émission et à la valeur qui leur est attribuée par l’administration fiscale. Il en résulte aussi une double imposition lors de leur vente par le souscripteur. 

3.7. Paragraphe 70(5) L.I.R.

Le paragraphe 70(5) L.I.R. prévoit qu’un contribuable est réputé avoir disposé des biens qu’il détient immédiatement avant son décès et avoir reçu un produit de disposition correspondant à leur JVM. Dans le cas d’actions à dividendes discrétionnaires, l’ARC peut vouloir attribuer une valeur supérieure aux actions à dividendes discrétionnaires que ce qui est autrement considéré par les actionnaires de la société ou par la succession. Cela dit, l’ARC acceptera la valeur établie par une convention entre actionnaires en certaines circonstances.

3.8. Articles 74.1 et 74.2 L.I.R.

L’ARC peut considérer que les règles d’attribution trouvent application en cas de souscription à des actions à dividendes discrétionnaires par le conjoint d’un actionnaire initial, et ainsi attribuer à l’actionnaire initial les dividendes déclarés sur les actions à dividendes discrétionnaires détenues par le conjoint. Nous ne traiterons pas des actions à dividendes discrétionnaires acquises par un enfant mineur, puisque les règles relatives à l’imposition sur le revenu fractionné (kiddie tax) rendent une telle détention peu utile en pratique.

3.9. Alinéa 85(1)e.2) L.I.R.

L’ARC peut considérer que la JVM d’actions à dividendes discrétionnaires transmises à une société par voie de roulement est supérieure à la contrepartie reçue, et ce, en vue de conférer un avantage à une personne liée, entraînant l’application de l’alinéa 85(1)e.2) L.I.R. Une approche similaire peut être adoptée par l’ARC en application des paragraphes 51(2) et 86(2) L.I.R.

3.10. Paragraphe 110.6(7) L.I.R.

L’ARC peut considérer que le rachat des actions à dividendes discrétionnaires à leur valeur de souscription ne correspond pas à la véritable valeur de ces actions et refuser de fait l’utilisation de la déduction pour gains en capital des autres actions vendues dans le cadre de la même série d’opérations.

3.11. Paragraphe 186(4) L.I.R.

L’ARC peut considérer que l’existence d’actions à dividendes discrétionnaires dans une structure de sociétés pourrait avoir une incidence sur la répartition de la valeur entre les actionnaires qui sont des sociétés aux fins de l’analyse des critères de rattachement. Cela dit, en cas d’actions ordinaires à dividendes discrétionnaires conférant des droits identiques entre les détenteurs, l’ARC est d’avis qu’elle considérera le pourcentage de détention sans autres formalités.

3.12. Article 191 L.I.R.

Bien que cela ne soit pas un spectre spécifique aux actions à dividendes discrétionnaires, il est important de noter que les actions privilégiées à dividendes discrétionnaires peuvent se qualifier à la définition d’« actions privilégiées imposables » au sens du paragraphe 248(1) L.I.R., puisque le montant à recevoir par l’actionnaire à la liquidation, à la dissolution ou au rachat est fixe. Si tel est le cas, les dispositions des parties IV.1 et VI.1 L.I.R. peuvent trouver application. 

Objet de certaines exemptions, le payeur du dividende pourrait être assujetti à un impôt variant entre 25 % et 40 % en vertu de la partie VI.1 L.I.R., bien qu’il ait éventuellement droit à une déduction dans le calcul de son revenu imposable en vertu de l’alinéa 110(1)k) L.I.R. Le bénéficiaire du dividende, quant à lui, pourrait devoir payer un impôt de 10 % en vertu de la partie IV.1 L.I.R. 

Dans la plupart des cas, le contribuable évitera l’application de l’impôt de la partie VI.1 L.I.R., puisque le bénéficiaire du dividende détiendra une « participation importante » dans le payeur, tel qu’il est défini au paragraphe 191(2) L.I.R., faisant en sorte que le dividende se qualifie de « dividende exclu » au sens du paragraphe 191(1) L.I.R.

3.13. Paragraphe 245(2) L.I.R.

L’ARC invoque constamment, dans sa position administrative, le spectre de l’application de la règle générale antiévitement aux cas d’utilisation d’actions à dividendes discrétionnaires sans pour autant fournir de motifs valides quant à cette application. Sans grande surprise, l’ARC se réserve la liberté d’appliquer la règle générale antiévitement selon les faits et circonstances d’une situation donnée et indique qu’il serait nécessaire de revoir tous les faits pertinents dans le but de déterminer si la règle est applicable à la série d’opérations comportant des actions à dividendes discrétionnaires.

3.14. Paragraphe 246(1) L.I.R.

Pour des motifs similaires à ceux invoqués pour le paragraphe 15(1) L.I.R., l’ARC pourrait considérer que l’émission et la détention d’actions à dividendes discrétionnaires pourraient entraîner l’application du paragraphe 246(1) L.I.R.

3.15. Alinéa 256(1.2)c) L.I.R.

L’ARC peut considérer la valeur d’actions à dividendes discrétionnaires comme représentant plus de la moitié de la JVM des actions de la société, même si elles ne représentent pas cette proportion en pourcentage, et se servir de cette détermination pour associer la société à une société tierce.

4. Recommandations pratiques pour permettre une utilisation 
sans risque (ou presque) des actions à dividendes discrétionnaires

Afin d’éviter toute ambiguïté quant à l’évaluation des actions à dividendes discrétionnaires, le fiscaliste doit s’assurer que ces actions sont émises dans un contexte juridique bien établi et comprenant la mise en place des recommandations suivantes.

4.1. Paiement du montant de la souscription par le souscripteur

La première condition à respecter semble simpliste, mais il s’agit d’une lacune majeure que l’on trouve dans plusieurs mises en place de réorganisations de sociétés impliquant l’émission d’actions ayant une petite valeur. Afin de confirmer la souscription ou l’achat d’actions, il est important de s’assurer que l’acquéreur de telles actions s’est effectivement acquitté du paiement de leur contrepartie. De plus, il est recommandé que ce paiement soit fait de manière qu’il y ait une traçabilité comme c’est le cas avec l’émission de chèque. De cette manière, on évite l’application potentielle de règles d’attribution si le paiement n’est pas fait directement par le souscripteur, et pire encore, l’invalidité même de la souscription impayée.

4.2. Émission des actions à dividendes discrétionnaires après un gel

Pour déterminer avec certitude la valeur des actions ordinaires ou privilégiées à dividendes discrétionnaires au moment de leur émission, il est recommandé de procéder préalablement à un « gel successoral » des actions participantes émises et en circulation. Les actions nouvellement émises après un gel successoral n’ont d’autre valeur que le montant versé à la société en contrepartie de leur émission. 

Il est important de s’assurer que la société ne déclare pas de dividendes qui pourraient réduire la valeur des actions de gel. La Loi canadienne sur les sociétés par actions empêche la déclaration d’un dividende s’il existe des motifs raisonnables de croire, notamment, que la valeur de réalisation de l’actif, après la déclaration de ce dividende, s’avère insuffisante pour payer les dettes et rembourser le capital déclaré de ses actions. Cette contrainte prévue à la Loi canadienne sur les sociétés par actions n’est cependant pas d’une grande utilité si un choix est fait, lors du gel, pour fixer un capital déclaré bas aux actions de gel. Il n’y a pas de restriction équivalente dans la Loi sur les sociétés par actions. Pour ces motifs, le capital-actions autorisé doit empêcher toute déclaration de dividendes, tout rachat d’actions ou achat d’actions de gré à gré par la société qui peut faire en sorte que la société ne dispose plus des liquidités nécessaires pour racheter les actions de gel.

4.3. Respect des règles d’association

Lors de la mise en place de structures de fractionnement de revenus à l’aide d’actions à dividendes discrétionnaire, il est important de vérifier les règles d’association. En effet, la mécanique des actions à dividendes discrétionnaires exige que chaque actionnaire détienne des actions d’une catégorie distincte afin de permettre la déclaration d’un dividende sur cette catégorie uniquement. De ce fait, chaque actionnaire détient la totalité des actions d’une catégorie donnée. Ce faisant, il peut être possible d’associer la société avec une société tierce si l’un des actionnaires souscrivant aux actions à dividendes discrétionnaires est déjà actionnaire d’une autre société, même si, en réalité, il ne détient que 20 % des actions totales ayant le même rang que les siennes, puisqu’il détient alors 100 % des actions d’une catégorie.

4.4. Respect des règles de rattachement

Sous réserve des commentaires à la section 5.3. ci-dessus traitant des propositions législatives modifiant l’article 55 L.I.R., il peut être intéressant de créer une structure de sociétés dans laquelle un particulier détient des actions ordinaires, avec droit de vote et de participation, alors qu’une société de gestion qu’il contrôle détient des actions privilégiées, sans droit de vote ni de participation, à dividendes discrétionnaires. Une telle structure permettrait de transférer sans conséquences fiscales les surplus de liquidités de la société exploitante vers la société de gestion par la déclaration de dividendes discrétionnaires. Afin que cette structure fonctionne, il faut s’assurer que la société de gestion détenant ces actions privilégiées à dividendes discrétionnaires soit rattachée à la société exploitante, ce qui ne devrait pas poser problème en vertu du principe de contrôle étendu. Dans le cas où la société compte plus d’un actionnaire, il peut être plus difficile de s’assurer du rattachement de la société de gestion à la société exploitante et il faudra probablement voir à l’émission d’actions ordinaires à la société de gestion afin d’assurer qu’elle conserve une participation directe acceptable dans la société qui déclare le dividende. Une telle planification ne fonctionnera pas si l’alinéa 55(3)a) L.I.R. est adopté tel que proposé, puisque tout dividende déclaré sur les actions privilégiées à dividendes discrétionnaires serait vraisemblablement converti en gain en capital pour la société bénéficiaire.

4.5. Paiement du dividende au détenteur des actions

Comme dans toute mise en place de structure de sociétés, dans un contexte de mise en place d’actions à dividendes discrétionnaires dans un objectif de fractionnement de revenus avec les membres d’une famille, il est primordial de bien documenter chaque opération. Plus particulièrement, lorsqu’un dividende est déclaré sur les actions à dividendes discrétionnaires, il est important de documenter le paiement fait au détenteur des actions. En effet, si le paiement était plutôt fait en faveur d’un tiers, il serait plus difficile de soutenir que l’actionnaire est le bénéficiaire effectif du dividende.

4.6. Limite imposée dans les statuts à la déclaration de dividendes

S’il n’est pas possible de procéder à un gel successoral des actions participantes de la société préalablement à l’émission d’actions à dividendes discrétionnaires, il faudra nécessairement que les actions à dividendes discrétionnaires ne soient pas participantes. Il est alors possible d’émettre des actions privilégiées à dividendes discrétionnaires dont le descriptif aux statuts de la société prévoit une limitation quant aux dividendes pouvant être déclarés sur ces actions empêchant toute distribution de la valeur cumulée de la société préalablement à l’émission. 

Cette clause pourrait se lire comme suit :

« Les détenteurs d’actions privilégiées catégorie […] auront droit de recevoir, postérieurement aux actions privilégiées catégories [actions priv. de gel], tout dividende déclaré par la société à même ses bénéfices nets (avant amortissement et après impôt) générés par la société depuis l’émission desdites actions privilégiées catégorie […] en faveur de leur détenteur; le conseil d’administration pourra à sa discrétion attribuer la totalité de ce dividende aux actions privilégiées catégorie […] à l’exclusion des détenteurs des autres catégories d’actions de la société, y compris les détenteurs des actions ordinaires catégories […], […], […] “et […] et des actions privilégiées catégories […] et […], ou, sujet aux droits et privilèges attachés aux autres catégories d’actions privilégiées, l’attribuer aux actions ordinaires catégories […], […], […]” et […] et actions privilégiées catégories […] et […], à l’exclusion des actions privilégiées catégorie […], ou encore le répartir entre les actions ordinaires catégories […], […], […] “et […] et les actions privilégiées catégorie […], […]” et […] dans la proportion qu’il déterminera, sans être tenu de respecter l’égalité entre ces catégories. »

De cette manière, il est impossible de considérer que ces actions ont une valeur au moment même de leur émission, puisqu’elles ne peuvent participer d’aucune manière aux surplus accumulés par la société jusqu’à leur émission. Par ailleurs, ces actions ne doivent pas conférer à leur détenteur de droits de vote leur donnant le contrôle de jure de la société pour éviter qu’on puisse soutenir que ces actions ont droit à toute la plus-value accumulée à compter de leur émission. Il faut également s’assurer que ces actions ne sont pas détenues par un actionnaire qui détient, par ailleurs, des actions lui conférant un contrôle de jure de la société. Sinon, cela crée un « conduit » permettant à l’actionnaire de s’attribuer les surplus futurs et les flux de trésorerie, ce qui justifie d’attribuer toute la valeur de la société à ces actions. Si le capital-actions comporte des actions dont la valeur de rachat doit être protégée, il conviendra d’inclure une restriction empêchant la déclaration d’un dividende pouvant faire en sorte que la société ne soit plus en mesure de racheter ces actions.

4.7. Mise en place d’une convention unanime entre actionnaires

4.7.1. Assujettir le dividende discrétionnaire à un vote unanime

Pour éviter toute contestation d’un actionnaire lors de la déclaration d’un dividende discrétionnaire, il est recommandé de retirer le pouvoir de déclaration d’un dividende non proportionnel à la détention d’actions de la juridiction du conseil d’administration pour faire exercer ce pouvoir directement par les actionnaires, à l’unanimité, à l’aide d’une convention unanime entre les actionnaires. De cette manière, tous les actionnaires devront approuver un dividende déclaré de manière non proportionnelle à la détention des actions et personne ne pourra s’opposer à une décision à laquelle il aura volontairement participé.

Cette approche permet de contrecarrer plusieurs théories d’évaluation. En effet, il est alors impossible d’accorder une valeur supérieure à leur valeur de rachat aux actions privilégiées à dividendes discrétionnaires puisqu’aucun actionnaire ne dispose du pouvoir requis pour en faire un conduit et s’attribuer les surplus de la société à l’exclusion des autres actionnaires. Il est également impossible de soutenir que les actions avec droit de vote et de participation à dividendes discrétionnaires d’un actionnaire de contrôle ont une valeur supérieure à celles d’un actionnaire détenant des actions sans droit de vote et avec droit de participation à dividendes discrétionnaires ou même avec droit de vote et de participation à dividendes discrétionnaires. À l’inverse, cette façon de faire court-circuite l’approche de la réduction de valeur de la participation 

4.7.2. Établir une méthode d’évaluation des actions

Il est essentiel d’insérer une clause d’évaluation des actions et d’éviter de laisser aux actionnaires la possibilité de déterminer la valeur des actions à leur discrétion. Plusieurs méthodes d’évaluation peuvent être envisagées, tel qu’il a été indiqué précédemment. Cette clause est importante, puisqu’elle sera opposable à l’administration fiscale en cas de décès d’un actionnaire, à condition qu’elle respecte les conditions suivantes :

« a) La convention doit obliger la succession à vendre les actions au décès en vertu d’une convention de vente et de rachat obligatoires ou au gré d’un acheteur désigné;

b) La convention doit restreindre le droit de l’actionnaire de disposer de ses actions à n’importe quel prix de son vivant;

c) La convention doit indiquer pour les actions un prix fixe ou une méthode de calcul du prix courant;

d) Il doit s’agir d’une convention commerciale véritable, et non d’un moyen de transmettre les actions du défunt aux héritiers à un prix inférieur à une contrepartie suffisante et complète. »

Dans le cas d’une convention conclue entre actionnaires avec lien de dépendance, les dispositions relatives à l’évaluation des actions seront reconnues par l’ARC si elles respectent les conditions qui suivent : 

« a) Il s’agit d’une convention commerciale véritable;

b) Le prix qui est fixé dans la convention ou qui est calculé selon la formule donnée dans celle-ci constitue une contrepartie suffisante et complète et correspond à la juste valeur marchande des actions déterminée indépendamment de la convention au moment de la signature de celle-ci;

c) La convention constitue un contrat légal et exécutoire. »

Enfin, la clause de détermination de valeur des actions doit clairement traiter des éléments suivants :

  • La position minoritaire d’un actionnaire est-elle soumise à une réduction de valeur et, dans l’affirmative, cette réduction est-elle prédéterminée ou déterminable lors de l’opération?
  • Faut-il considérer un acheteur ayant un intérêt spécial afin de déterminer la valeur des actions en bloc ou plutôt considérer l’évaluation des actions à la pièce (stand-alone)?
  • L’opération sera-t-elle financée à l’externe ou à l’interne? Si le financement se fait à l’interne, cela doit-il avoir un impact sur la valeur, puisque la société devra employer ses flux de trésorerie afin de procéder au paiement des actions au lieu de les réinvestir dans l’entreprise?
  • Est-ce que l’actionnaire vendeur peut avoir droit à un rajustement de valeur en cas de vente de la totalité des actions à un tiers dans une opération subséquente?
  • Est-ce que le produit d’assurance vie perçu par la société en cas de décès doit être considéré dans la détermination de la valeur?

4.7·3. Clause d’entraînement

L’introduction d’une clause d’entrainement peut aider à justifier une détermination de valeur en bloc pour les actions détenues par un actionnaire minoritaire, puisqu’elle permet à ce dernier de vendre ses actions au tiers aux mêmes conditions que celles offertes à l’actionnaire majoritaire.

Conclusion

Étant donné ce qui précède, en présence d’une structure de sociétés qui respecte les recommandations ci-dessus, l’administration fiscale ne peut soutenir que les actions à dividendes discrétionnaires ont une valeur différente de celle considérée par le contribuable. Cette valeur ne doit pas fluctuer autrement qu’en fonction des principes normaux d’évaluation d’actions d’une société, c’est-à-dire que cette valeur doit correspondre à la valeur de rachat prévue dans les statuts de la société dans le cas d’actions privilégiées à dividendes discrétionnaires ou à la quote-part de la valeur du reliquat des biens de la société dans le cas d’actions ordinaires.

Il demeure toujours un risque que l’administration fiscale tente d’appliquer l’une ou l’autre des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu que nous avons mentionnées lorsque des actions à dividendes discrétionnaires sont en circulation. Cela dit, il n’existe pour le moment pas de jugement confirmant une révision de la valeur attribuée à des actions à dividendes discrétionnaires par l’ARC lorsque les recommandations que nous avons faites sont respectées.

Publié dans :

Thierry L. Martel, « L'utilisation légitime des actions à dividendes discrétionnaires », dans Congrès 2016, Montréal, Association de planification fiscale et financière, Montréal, 2017.

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