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En mars dernier dans l’édition du Stratège (vol. 21, no 1), nous avions fait un survol de la jurisprudence récente interprétant certaines dispositions de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières (« L.D.M.I. »). Depuis, plusieurs dispositions de cette loi qui seront modifiées par le plus récent budget du gouvernement du Québec.

Le budget déposé par le ministre des Finances du Québec, M. Carlos Leitão, le 17 mars 2016 (« Budget 2016-2017 ») prévoit certains autres rajustements à la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières afin de resserrer certaines dispositions accordant une exonération du paiement du droit de mutation et de restreindre certaines méthodes permettant d’en retarder le moment du paiement. Par ailleurs, le budget prévoit d’ajouter une possibilité d’exonération en cas de transferts d’immeubles entre deux ex-conjoints de fait.

1. Le sens à donner à l’expression « au moins 90 % des actions émises, ayant plein droit de vote »

Mise en contexte

Il se dégage de la jurisprudence récente une certaine incompréhension du sens à donner aux expressions « au moins 90 % des actions de son capital-actions, émises et ayant plein droit de vote », « au moins 90 % des actions émises, ayant plein droit de vote, du capital-actions » et « au moins 90 % des actions émises ayant plein droit de vote », lesquelles permettent de déterminer l’admissibilité d’un cessionnaire à une exonération du paiement du droit de mutation lors du transfert d’un immeuble effectué entre une personne physique et une personne morale ainsi qu’entre deux personnes morales étroitement liées.

En effet, dans l’affaire Lebco Gestion inc. c. Laval (Ville de), 2015 QCCS 1704, rendue le 23 avril 2015, la Cour supérieure laissait entendre en obiter dictum que le nombre d’actions importe peu et qu’il faut plutôt contrôler l’équivalent de plus de 90 % des votes rattachés aux actions.

Au contraire, dans l’affaire Immeubles Jacob-Thibault inc. c. Trois-Rivières (Ville de), 2015 QCCQ 6551, rendue quelques semaines plus tard, la Cour du Québec indique clairement qu’il faut tenir compte du nombre d’actions conférant un droit de vote et non du nombre de votes conférés par les actions détenues.

Propositions budgétaires 2016

Le Budget 2016-2017 prévoit certains rajustements à la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières. 

Le Ministre constate que les expressions contenues à la loi et faisant référence à « au moins 90 % des actions de son capital-actions […] » sont généralement incomprises ou mal interprétées. Ainsi, le budget prévoit que, pour tous les transferts d’immeubles effectués après le 17 mars 2016, « afin de résoudre ces divergences d’interprétation, la [Loi concernant les droits sur les mutations immobilières] sera modifiée pour préciser que le pourcentage prévu à ces expressions doit s’établir en calculant le nombre de votes rattachés aux actions du capital-actions de la personne morale ».

2.1.2. Maintien de la détention d’actions 24 mois précédant le transfert

Le Budget 2016-2017 créera une nouvelle obligation de détention de 90 % des voix de manière que cette détention existe et soit maintenue pour une période minimale de 24 mois précédant la date du transfert dans le cas d’un transfert par une personne physique à une personne morale. Cette règle sera assouplie dans le cas d’une société par actions nouvellement constituée à condition que la personne physique ait détenu au moins 90 % des voix attachées aux actions de la personne morale depuis sa constitution jusqu’au moment précédant immédiatement le transfert.

2.1.3. Droit d’acquérir les actions comportant le droit de vote

Afin d’éviter que les contribuables ne contournent les règles de maintien de la détention des actions conférant à leur détenteur 90 % des droits de vote, le Budget 2016-2017 prévoit l’ajout de règles de disposition réputée de ces actions en certains cas. De fait, les règles annoncées ressemblent beaucoup aux dispositions de l’alinéa 251(5)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les règles annoncées prévoient qu’une personne sera réputée avoir acquis les actions, brisant la période de détention de 24 mois du cédant, si elle se porte acquéreur d’un droit d’acquérir, de contrôler les droits de vote ou d’obliger la personne morale à racheter, à acquérir ou à annuler des actions de son capital-actions détenues par d’autres actionnaires, sauf si ce droit est conditionnel au décès, à la faillite ou à l’invalidité permanente d’un particulier.

2. Resserrements à certaines dispositions accordant une exonération – Budget 2016

2.1. Resserrement de certaines dispositions accordant une exonération

2.1.1. Maintien de la détention d’actions 24 mois suivant le transfert

Lorsque des personnes morales étroitement liées utilisaient l’exonération prévue au sous-paragraphe 19 1)d) L.D.M.I., il était important que le cédant conserve sa détention d’actions au moins 24 mois suivant le moment du transfert de l’immeuble à défaut de quoi, le cessionnaire pourrait être tenu de payer un droit supplétif correspondant à 125 % du montant du droit de mutation qui aurait été exigible par suite du transfert. Ces droits supplétifs résultaient de l’application de l’article 19.1 L.D.M.I. et de l’article 1129.29 de la Loi sur les impôts, L.R.Q., c. I-3 (« L.I. »).

La Cour du Québec a rendu une décision très intéressante sur les conditions d’application de l’article 1129.29 L.I. et sur l’opposabilité d’une contre-lettre dénoncée à l’Agence du revenu du Québec dans l’affaire 6149626 Canada inc. c. Agence du revenu du Québec, 2014 QCCQ 8084, confirmée par la Cour d’appel le 10 février 2016 (6149626 Canada inc. c. Agence du revenu du Québec, 2016 QCCA 295).

Cela dit, le Budget 2016-2017 prévoit l’ajout à la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières d’une règle de maintien de la détention similaire à celle prévue à l’article 1129.29 L.I. La situation visée est celle où un transfert aura fait l’objet d’une exonération du paiement du droit de mutation et que la propriété d’actions du capital-actions de la personne morale cessionnaire confère au moins 90 % des droits de vote au cédant. Dans ces circonstances, les nouvelles dispositions de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières prévoient une obligation de maintien de la condition d’exonération pour une période minimale de 24 mois suivant la date du transfert d’un immeuble, lorsque ce transfert est effectué par une personne physique en faveur d’une personne morale, ou entre deux personnes morales étroitement liées.

Puisque la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières contiendra ses propres règles de maintien de la détention d’actions pendant 24 mois, les droits supplétifs prévus à la Loi sur les impôts seront abrogés.

3. Ajout d’une exonération du paiement du droit de mutation lors d’un transfert d’immeuble entre ex-conjoints de fait

La Loi concernant les droits sur les mutations immobilières prévoit une exonération du paiement du droit de mutation lorsqu’un transfert d’immeuble a lieu entre conjoints. Le terme « conjoint » désigne ici aussi bien les époux que les conjoints unis civilement ou les conjoints de fait. La définition de « conjoint de fait » est semblable à celle que l’on retrouve dans les lois fiscales et vise deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent maritalement l’une avec l’autre depuis au moins 12 mois avant le transfert de l’immeuble ou qui sont père et mère d’un même enfant. 

Cependant, la loi ne prévoit aucune exonération lors d’un transfert d’immeuble entre des ex-conjoints. Ainsi, la loi sera modifiée afin d’introduire une exonération du paiement du droit de mutation lorsque le transfert d’un immeuble est effectué entre des ex-conjoints de fait dans les 12 mois suivant la date où ils ont cessé d’être des conjoints en raison de l’échec de leur union.

4. Modification du moment d’exigibilité du droit de mutation et introduction d’un mécanisme de divulgation des transferts d’immeubles non inscrits au registre foncier

4.1. Principe d’exigibilité du droit de mutation – Avant le Budget 2016-2017

En vertu des articles 10 et 11 L.D.M.I., le paiement du droit de mutation est exigible le 31e jour suivant l’envoi d’un compte à cet effet par le fonctionnaire chargé de la perception des taxes municipales. Afin que cet officier puisse transmettre un compte, il doit être préalablement informé  par l’officier de la publicité des droits qu’un transfert d’immeuble a eu lieu sur le territoire d’une municipalité. Ainsi, les droits sont exigibles lorsqu’un transfert d’immeuble est inscrit au registre foncier d’une municipalité. Dans ce contexte, il est possible de retarder le moment du paiement du droit de mutation en retardant le moment de l’inscription du transfert au registre foncier.

4.1.2. Survol de l’usage de prête-nom en immobilier – Avant le Budget 2016-2017

Certaines personnes dans le domaine de l’immobilier utilisaient des prête-noms dans le cadre de transactions immobilières afin de reporter indéfiniment le paiement du droit de mutation lors de certains transferts. 

Par exemple, un entrepreneur désire se porter acquéreur d’un terrain qu’il compte subdiviser et développer en phases distinctes. Les différents terrains pourront être développés par lui-même, par des tiers, ou par une combinaison des deux. Ces terrains pourraient ainsi faire l’objet de plusieurs transferts, tous assujettis au paiement du droit de mutation. Afin d’éviter cette situation, l’entrepreneur se porte acquéreur du terrain directement. Le terrain est subdivisé, puis chaque subdivision est transférée à une personne morale distincte dont toutes les actions sont détenues par l’entrepreneur comme l’illustre le schéma ci-dessous. Ces personnes morales agissent à titre de prête-noms et des conventions de prête-nom (ou « contre-lettres ») sont signées entre ces personnes morales et l’entrepreneur. Chaque convention de prête-nom prévoit que l’entrepreneur demeure le propriétaire véritable des subdivisions. La convention de prête-nom est dénoncée aux autorités fiscales à qui elle devient opposable en vertu des règles de la simulation prévues aux articles 1451 et 1452 du Code civil du Québec. Toutefois, le contrat apparent est utilisé auprès de la municipalité où une demande d’exonération du paiement du droit de mutation peut être faite en vertu de l’article 19 L.D.M.I. 

Dans l’exemple ci-dessus, un acquéreur fera l’acquisition de la Partie de terrain no 1 pour la développer, notamment pour y construire des appartements en copropriété. La stratégie, lors du transfert de la Partie du terrain no 1, est qu’Acquéreur inc. achète sous seing privé la Partie du terrain no 1 détenue par Entrepreneur inc., mais que Filiale no 1 inc. demeure le propriétaire inscrit au registre foncier. Pour protéger Acquéreur inc., il peut être convenu dans un acte de vente distinct qu’Entrepreneur inc. vend à Acquéreur inc. les actions de Filiale no 1 inc. Finalement, une nouvelle convention de prête-nom est signée entre Filiale No 1 inc. et Acquéreur inc. Puisque le propriétaire inscrit aux titres demeure inchangé, il n’y a pas de paiement de droits de mutation immobilière. Il faut alors s’assurer que les droits supplétifs prévus à l’article 19.1 L.D.M.I. et à l’article 1129.29 L.I. ne trouvent pas application, puisque les actions de Filiale no 1 inc. changent de propriétaire. La convention de prête-nom est encore une fois dénoncée aux autorités fiscales afin qu’Entrepreneur inc. paie l’impôt requis sur le profit généré par la vente du terrain en faveur d’Acquéreur inc. Ce dernier bénéficie, quant à lui, de l’augmentation du coût fiscal du terrain dont il devient le propriétaire véritable.

Lorsque Acquéreur inc. vendra les appartements en copropriété à des clients, ceux-ci signeront un contrat avec Filiale No 1 inc. et s’acquitteront du paiement du droit de mutation applicable sur l’achat de leur appartement. Tel que convenu à la convention de prête-nom intervenue entre Filiale No 1 inc. et Acquéreur inc., ce contrat sera à nouveau dénoncé aux autorités fiscales et Acquéreur inc. paiera l’impôt requis sur le profit généré par la vente de l’appartement à son client.

4.3. Nouvelles règles de divulgation de transferts d’immeubles non inscrits au registre foncier

Il est important de rappeler que l’esprit de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières est de permettre à toute municipalité de percevoir un droit sur le transfert de tout immeuble situé sur son territoire. Ce droit de mutation est exigible à compter de l’inscription au registre foncier de l’acte constatant le transfert d’un immeuble. 

Ainsi, bien que la créance relative au droit de mutation naisse au moment du transfert d’un immeuble, la possibilité pour la municipalité de percevoir cette créance est suspendue jusqu’au moment de l’inscription au registre foncier de l’acte constatant le transfert de cet immeuble. 

Comme nous l’avons illustré avec l’exemple de l’usage d’un prête-nom, le législateur a constaté que cette particularité de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières peut donner lieu à certaines planifications où des actes constatant le transfert d’un immeuble ne seraient pas inscrits au registre foncier, et ce, dans le but de reporter indéfiniment le paiement du droit de mutation. 

Dans ce contexte, le Budget 2016-2017 annonce une modification à la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières de sorte que le paiement du droit de mutation devienne exigible à compter de la date du transfert d’un immeuble, et ce, pour tous les transferts effectués après le 17 mars 2016, peu importe que le transfert soit inscrit au registre foncier ou non. 

De plus, un mécanisme de divulgation des transferts d’immeubles assujettis à la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières sera prévu lorsque les actes constatant ces transferts ne sont pas inscrits au registre foncier. Advenant tout défaut de produire un tel avis de divulgation dans le délai requis, un droit supplétif égal à 150 % du droit de mutation devrait être payé au ministre du Revenu en vertu de la Loi sur les impôts. Le cessionnaire d’un immeuble qui versera le droit supplétif au ministre du Revenu ne sera pas tenu de verser le droit de mutation à la municipalité lors de l’inscription ultérieure au registre foncier de l’acte constatant le transfert de cet immeuble.

Conclusion

Il est important de retenir que les cas d’exonération du paiement du droit de mutation doivent être interprétés de manière restrictive. Ainsi, il est essentiel pour les professionnels qui supervisent le transfert d’immeubles de s’assurer que la lettre de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières est respectée. Dans le cas plus spécifique de personnes morales étroitement liées, il faut oublier nos vieux réflexes, puisque le Budget 2016-2017 a changé plusieurs règles, dont le notion de 90 % des votes qui ne vise plus le nombre d’actions conférant plein droit de vote, mais plutôt 90 % des votes eux-mêmes. Finalement, l’usage classique des prête-noms en vue d’éviter le paiement de droits de mutation ne fonctionne plu

Publié dans :

Thierry L. Martel, « La mutation récente des mutations immobilières », Stratège, 21:2 (Juin 2016) 18.